Essais

Jacques Le Goff

À la recherche du temps sacré

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photo libraire

Chronique de Olatz Mundaka

Pigiste ()

Quand Jacques Le Goff lit Jacques de Voragine, c’est toutes nos préventions et idées reçues sur La Légende dorée qui s’évanouissent. À la recherche du temps sacré est un essai érudit, alerte et qui se lit comme un roman.

Historien mondialement connu et traduit, Jacques Le Goff ne pouvait manquer de consacrer un jour une étude au best-seller absolu (la Bible mise à part) de la fin de l’époque médiévale : La Légende dorée du dominicain génois Iacopo da Varazze, plus connu sous le nom de Jacques de Voragine. Écrit à la fin du XIII e siècle, cette somme, qui est bien plus qu’une compilation d’hagiographies, a en effet joué, selon l’historien qui semble en connaître tous les secrets, un rôle déterminant dans la constitution de l’identité européenne. En effet, c’est le temps qui serait la grande affaire de Jacques de Voragine, le temps et ses formes, ses périodes, le temps tel que les hommes le vivent et le maîtrisent, tel que la liturgie le rythme, tel que la vie des saints l’illustre et tel que Dieu en fait une sainte musique qui enchante le monde. Tel qu’il dessine aussi l’architecture du prodigieux ouvrage, par ces quatre périodes que sont le temps de l’égarement, celui de la rénovation, celui de la réconciliation et celui (qui est le nôtre) de la pérégrination, au cours duquel « nous sommes toujours en errance et en lutte » ; quatre périodes qui, bien sûr, dessinent une histoire du monde placée sous le signe de la Chute et du Salut venant épouser le temps de Dieu, celui de l’eschatologie qui mène l’homme au Jugement dernier. Ce temps alors devenu chrétien a cessé en grande partie d’être le nôtre, même si nombre de ses histoires, images et symboles continuent à résonner en nous, comme malgré nous. Et l’enchantement du monde n’est plus, résultat d’une douloureuse mais féconde lucidité. Si les rêves de ces hommes ne sont plus les nôtres, si certaines de leurs croyances nous font aujourd’hui sourire, Jacques Le Goff, au détour d’un paragraphe, a raison de nous rappeler l’essentiel : ces rêves étaient beaux et souvent élevés, subtils et généreux. Ceux de notre époque se révèlent souvent plus ridicules, prosaïques et vulgaires que ceux qui aboutirent à l’écriture d’un chef-d’œuvre.