PRIX DU STYLE 2018
Quand la narratrice du roman rencontre Sarah, elle mène une vie bien rangée, presque mélancolique. Alors qu’elles ont, à première vue, bien peu en commun, les deux femmes se laissent absorber par un sentiment, une urgence, un trouble qui les dépassent. Cette passion conjugue le besoin physique avec celui de se perdre en l’autre, celui de le blesser aussi. Mais l’absolu résiste mal au passage du temps. Après une nuit singulière, la narratrice s’échappe loin de Sarah, loin de Paris, loin de sa vie. À Trieste, c’est à nouveau à corps perdu qu’elle se jette dans un quotidien dont elle espère un apaisement qui ne vient pas. Les deux parties du roman sont comme les deux faces de la passion, in praesentia et in absentia, avec un rythme et une voix subtilement différents mais qui résonnent et se déploient encore, une fois le livre refermé. L’écriture intense, charnelle et subtile de Pauline Delabroy-Allard vous emporte dans le « tourbillon tempétueux » de cet amour fou qui n’a jamais si bien porté son nom.
PAGE — Vous êtes une véritable passionnée des mots, de la langue, de la littérature. Recevoir un prix récompensant spécifiquement le travail du style a-t-il une saveur particulière pour vous ?
Pauline Delabroy-Allard — Oui, évidemment, cette récompense me touche tout particulièrement. Il est vrai que j’ai plaisir à travailler, à manipuler la langue, à jouer avec, en écrivant beaucoup de poésie par ailleurs, et cela a été au cœur de l’écriture du roman. Quelle joie de constater que ce travail sur les mots a été perçu et que mon roman est aujourd’hui primé pour ces raisons-là !
P. — « Essence même de la littérature », « travail inédit sur la langue écrite permettant de faire émerger une autre perception du monde » : c’est sur cette définition que le prix du style est fondé. Pouvez-vous nous faire entrer un peu dans l’intimité de votre écriture en nous expliquant comment s’est fait ce travail sur la langue pour Ça raconte Sarah ?
P. D.-A. — L’écriture du roman s’est faite assez rapidement, en l’espace d’un an, mais dans deux grands moments d’écriture bien distincts. La première partie s’est écrite dans un geste ardent et bouillonnant, le travail sur la langue était presque exalté. C’était jubilatoire de chercher le mot juste qui dirait la passion en train d’emporter mes deux personnages. Le deuxième temps d’écriture, consacré à la deuxième partie, a été plus mûri et méditatif, j’ai vraiment cherché à donner une musicalité au texte à ce moment-là, par des jeux de nuances avec la première partie. L’écriture s’est montrée un peu plus grave. Chaque mot compte, rien n’est laissé au hasard.
P. — Le prix du style est, depuis quelques années, un prix de libraires : ce sont eux qui sélectionnent les œuvres en compétition. Quelle place les librairies occupent-elles dans votre vie ? Quelle lectrice êtes-vous : plutôt attirée par les tables foisonnantes, plutôt à l’écoute des conseils ou plutôt exploratrice solitaire des recoins méconnus et improbables de la littérature ?
P. D.-A. — Les librairies ont toujours eu une importance folle dans ma vie. C’est d’ailleurs la première chose que je visite en arrivant dans une ville que je ne connais pas. J’aime énormément écouter les libraires parler de leurs coups de cœur et de leurs livres fétiches. Les tables des nouveautés ou thématiques sont parfois de véritables œuvres d’art, tout comme les vitrines dont certaines sont un enchantement ! Mais je n’aime rien tant que de déambuler tranquillement entre les rayons, avec l’espoir que mes yeux tombent sur une pépite cachée et inconnue qui ravira mes nuits à venir, car je ne lis véritablement bien que la nuit !