Littérature française

Franck Pavloff

La rencontre comme horizon

Entretien par Marie Michaud

(Librairie Gibert Joseph, Poitiers)

À travers les destins croisés de plusieurs personnages, Franck Pavloff interroge, dans son nouveau roman, la nécessité de découvrir autrui pour se comprendre soi-même. Autour de la gare-frontière de Cerbère, les histoires intimes et la grande Histoire s’entrelacent pour imaginer – peut-être – un nouvel espoir.

Pourquoi et comment avez-vous choisi un lieu, l’hôtel du Rayon Vert à Cerbère, comme décor du livre, comme titre mais aussi comme symbole du sens de ce roman ?

Franck Pavloff D’une certaine manière, le personnage principal du roman, c’est ce paquebot de béton fiché dans la gare de Cerbère. Il est magnifique. Je l’ai découvert lors d’un voyage vers Barcelone et j’ai été fasciné. J’y ai passé une nuit et j’ai vraiment senti qu’il se passait quelque chose. Petit à petit, j’ai appris que ce lieu était un amalgame de symboles extraordinaire. D’une part, Machado, le poète espagnol, est passé par cette gare avant de rendre l’âme à Collioure peu après. Dans l’autre sens, le philosophe allemand juif Walter Benjamin est passé là en fuyant les nazis pour atteindre Port-Bou où il est décédé. Dans le triangle Cerbère/Collioure/Port-Bou, il y a une sorte de magie qui fait qu’on a envie de retrouver son propre destin. Les personnages du roman qui arrivent là vont découvrir non seulement leur destin mais aussi celui des autres. Car chacun porte en soi une part du destin de l’autre. Dans le livre, il y a une photographe qui dit : « Je photographie le monde non pas pour voir mais pour recevoir ». Je crois que ce livre est au cœur de cette question-là.

 

Il n’y a pas à proprement parler de personnage principal dans votre roman mais trois personnages qui viennent d’ailleurs en quête de quelque chose et d’autres personnages qui leur ouvrent leurs portes mais aussi leurs cœurs. Qui sont-ils ?

F. P. Quand ils arrivent à Cerbère, ces personnages sont enfermés dans leur destin ou dans leurs questionnements identitaires. Il y a une photographe qui a été élevée en Thaïlande dans un hôtel qui ressemble un peu à l’hôtel du Rayon Vert et qui cherche à travers le monde des images qui vont lui rappeler quelle est sa propre histoire. Il y a un violoniste qui a été adopté par une famille française au Chili à l’époque de Pinochet et qui se demande s’il n’aurait pas un lien avec Antonio Machado. Et il y a une jeune fille à la dérive, marginale, qui squatte à travers la France et qui aboutit à Cerbère parce qu’elle a rencontré une femme africaine qui a eu le courage de traverser la frontière avec sa fille et qu’elle veut chercher des traces de ce passage. Ces différents personnages vont petit à petit se rencontrer. Et, au milieu d’eux, il y a un homme, ancré dans la terre, qui s’occupe de l’aiguillage et qui regarde tout ce qui se passe. Il raconte, comme une ponctuation dans le livre, l’histoire de la Retirada, c’est-à-dire tous ces Espagnols qui ont fui l’Espagne de Franco pour rejoindre une terre qu’ils croyaient de liberté.

 

C’est aussi l’éternel recommencement des drames de l’Histoire que vous nous racontez dans ce roman. De la violence des hommes mais aussi de la solidarité.

F. P. Tout à fait. Le patron du bistrot explique que ses grands-parents ont caché des républicains qui fuyaient Franco et que lui choisit, aujourd’hui, de continuer à s’ouvrir aux migrants qui arrivent en France par le même tunnel ferroviaire qui relie l’Espagne et la France et qu’ont utilisé les Espagnols pendant la Retirada. Donc, oui, c’est l’éternel recommencement de cette fuite. Mais, petit à petit, ces personnages qui sont en fuite vont s’apaiser en regardant ceux qui sont à côté d’eux, en les écoutant et en s’apercevant qu’ils ne sont pas seuls à chercher cette espérance qu’est, d’une certaine façon, le « rayon vert ». Quand on écrit un livre, soit l’écrivain parle de sa propre identité, soit il laisse les personnages lui donner son identité. Et dans ce livre, plus que pour les autres, je suis la photographe qui se promène à travers le monde pour essayer de capter une part de la vérité du monde ; je suis ce violoniste qui joue sur la tombe d’Antonio Machado à Collioure ; je suis aussi cette fille qui cherche des recoins pour s’isoler et comprendre ce que sont les marges et qui comprend qu’un grand philosophe comme Walter Benjamin parlait aussi d’elle qui est une anonyme. Dans le roman, cette exploration des histoires se fait par petites touches, comme une sorte d’énergie qui tourne autour de cet hôtel.

 

Presque vingt-cinq ans après son inoubliable Matin brun et après une vingtaine de romans avec toujours l’Humain en leur cœur, Franck Pavloff nous offre ici une ode à la rencontre. En effet, ce sont des rencontres et des échanges qui vont permettre à Lauren, à Pablo et à « la fille du passage » de sortir de l’errance dans laquelle leurs quêtes intimes les ont poussés jusqu’à leur arrivée à Cerbère. À travers eux, on découvre l’histoire d’Antonio Machado et de la Retirada, celles de Walter Benjamin fuyant les persécutions nazies ou de la photographe Germaine Krull. Mais ce sont les vraies rencontres, entre eux et avec ceux qui leur tendent la main, qui construisent un roman subtil et sensible sur la question de l’identité.

Les dernières parutions du même genre