Essais

Julien Marsay

Entretien par Juliet Romeo

(Librairie La Madeleine, Lyon)

Julien Marsay publie un essai dans la lignée de son compte Twitter, Autrices invisibilisées, dans lequel il met en avant les processus d’invisibilisation des autrices à travers l’Histoire. Nous lui avons posé quelques questions.

Avant le livre, il y a un compte Twitter, Autrices invisibilisées. Parlez-nous de ce compte. Comment est-il devenu un essai ?

Julien Marsay - Autrices invisibilisées est clé dans la genèse du livre. Créé il y a des années, sa vocation était pédagogique : un modeste outil conçu pour regrouper des ressources visant à faciliter les recherches de mes élèves. Le compte a vite été suivi et la visée pédagogique initiale s’est élargie. Le passage au livre a été progressif et naturel. Plus je nourrissais le compte, plus je cherchais des manuscrits d’autrices, plus les mécanismes d’invisibilisation apparaissaient. Finalement, le scandale crevait trop les yeux pour que je ne formalise pas ces recherches. Et il y a eu la rencontre déterminante avec mon éditrice, Laure-Hélène Accaoui qui a cru en la possibilité d’en faire un projet éditorial.

 

On voit à travers votre essai qu'il y a plusieurs processus d'invisibilisation qui agissent au fil des siècles. Que pouvez-vous nous en dire ?

J. M. - On recense des mécanismes récurrents (déni d’attribution, appropriation des œuvres, autrices dans l’ombre d’un homme...) ou des stratégies de survie comme le syndrome George Sand (le choix d’un pseudonyme masculin) mais le processus le plus courant est celui de la disqualification : l’injure et la calomnie sont des valeurs intemporelles. Ces processus entrent dans un système complexe : leur point commun est la structure patriarcale perpétuant une culture de la misogynie qui minore et étouffe la parole et les créations des femmes. On retrouve ce phénomène d’occultation partout : en écho à l’effet Matilda en sciences et en femmage à Olympe Audouard, je le nomme l’effet Olympe. Olympe Audouard, dont on vient de republier le pamphlet Guerre aux hommes chez Payot, synthétise nombre des mécanismes du backlash à l’œuvre. C’est une autrice incroyable, de premier plan, qui dérange et qui n’apparaît pas dans le récit officiel.

 

Pensez-vous qu'il y a eu une volonté réelle d'effacer les femmes ?

J. M. - Il y a eu a minima une intériorisation misogyne qui a été à l’œuvre : pendant des siècles et à travers nombre d’écrits, on a martelé qu’écrire était une affaire d’hommes. Les structures masculin(ist)es sont puissantes. Or, ceux qui avaient le pouvoir institutionnel de décider de la culture légitime étaient des hommes : ils décidaient des canons littéraires, de ce qui devait être retenu. Au mieux, ils minoraient les œuvres des femmes et retenaient vaguement une figure ou deux par siècle, ce que je nomme les exceptions-cautions, au pire ils les annihilaient des mémoires. Malgré des tentatives séculaires de matrimoine (Christine de Pizan, Madeleine de Scudéry...), l’instauration pérenne du matrimoine littéraire a toujours échoué. Sûrement parce que les femmes n’avaient pas de pouvoir décisionnaire.

 

Parmi toutes les autrices citées, certaines sont toujours éditées mais on ne les connaît pas ni ne les étudie. Que faudrait-il, alors que les ouvrages existent, pour que ces œuvres vivent encore ? 

J. M. - Il y a un certain nombre d'initiatives éditoriales salutaires mais il faudrait plus d’anthologies permettant de dresser un panorama du matrimoine littéraire : Sarah Sauquet a publié Un Texte Une femme (Librisphaera), Daphné Ticrinezis vient de publier le premier tome d’une anthologie d’autrices chez Hors d’atteinte. C’est un début à saluer et à poursuivre. Il faudrait continuer la publication en poche de ces ouvrages afin de redéfinir le paysage des classiques comme le font les Éditions des Femmes, Talents hauts, Les Éditions des Véliplanchistes... Les mots, leur pouvoir symbolique, sont aussi à interroger : le mot patrimoine est omnipotent, or il exclut les femmes. Alors que, dans l’Histoire, la notion de matrimoine était bien plus reconnue qu’aujourd’hui. Il faut accepter que la Herstory littéraire existe, mettre en place ses conditions durables d’existence mais pour cela, il faut que les institutions nettoient leurs toiles d’araignée : l’Éducation Nationale, l’Académie française, les prix littéraires...

 

Dans La Revanche des autrices, Julien Marsay nous emmène sur la piste des autrices invisibilisées. Avec nombre d’exemples, l’auteur nous fait voyager à travers les siècles pour découvrir ou redécouvrir des textes et des autrices. Car si certaines sont aujourd’hui connues grâce au retour du « matrimoine », d’autres restent encore à lire. Et toutes n’ont pas subi la même invisibilisation par les hommes et la société patriarcale : de celles dont on a amoindri la notoriété et le succès à celles qu’on a volontairement dénigrées, en passant par celles dont on a effacé le nom au profit de leurs maris, il est temps de soulever le rideau et de leur rendre leur juste place dans le paysage littéraire.

 

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