Littérature française

Thomas B. Reverdy

Quand l'imaginaire se mêle au réel

L'entretien par Joachim Floren

Librairie Le Matoulu (Melle)

Un récit incontournable dans le Grand Nord norvégien qui aborde l'urgence climatique à hauteur d'homme, mêlant les codes du fantastique, du récit d'aventure et du roman noir. La fin du monde est en marche : elle sera aussi magnifique que terrible !

 

Le lieu a une importance particulière. Pourquoi avoir situé l'action principale en Norvège ? Ce pays a-t-il façonné le caractère des personnages ?

Thomas B. Reverdy - Le lieu est le point de départ de ce désir de roman, imaginé il y a quatre ans. Dans mon précédent livre, un type en fin de course regardait, depuis la Tamise, en direction du nord, baigné d'une lumière crépusculaire. J'étais un peu cet homme-là avec cette envie de voyage, ce désir de crépuscule qui ne finit pas, de soleil qui ne décolle pas. J'ai beaucoup lu de récits d'expéditions comme celles d'Amundsen ou de Shackleton dans cette destination aventureuse, fantasme de désert glacé, de dangers, de nuits interminables. Malgré le réalisme de ces récits, cet univers m'évoque la science-fiction des Montagnes hallucinées de Lovecraft, celle de Terreur de Dan Simmons ou plus récemment celle de White Darkness de David Grann. Cet endroit du monde génère une fiction, un désir de lumière qui devient une idée de roman à articuler avec des imaginaires en moi, avec la volonté de construire quelque chose dans une nature paradoxale, inviolée et déserte. En toile de fond, il y avait aussi Gentleman de Klas Östergren et ses clochards célestes. L'univers s'est alors mis en place et la documentation a imposé la question de l'urgence climatique. La lecture de L’Humanité en péril de Fred Vargas m'avait aussi donné envie de lire des rapports scientifiques, déclencheurs de fictions. On apprend ainsi qu'une plate-forme pétrolière réelle a été baptisée Ragnarock qui signifie «°fin du monde°». Il fallait le faire ! Les gens sont géniaux dans leur bêtise... ou leur machiavélisme ! Il me fallait raconter cette histoire, avant que ce monde ne disparaisse, la nourrir des problématiques actuelles. La destruction arrange beaucoup de monde, comme les climato-sceptiques qui exploitent le pétrole et le gaz pour vendre plus vite, créer plus de transports.

 

Le récit est admirablement construit, donne un souffle incroyable et original à l'histoire. Pourquoi avoir choisi d'alterner des chapitres « livre dont vous êtes le héros » avec la vie réelle ?

T. B. R. - Les personnages, quand ils étaient ados, devaient me ressembler un peu, faire ces jeux de rôles qui m'ont fait découvrir la littérature et la fiction de manière générale. Ils sont un peu geek, ont 40 ans et une histoire commune autour des jeux de rôle imaginés autour de la légende de Sigurd (Siegfried) qui raconte déjà une fin du monde.

 

C'est un roman foisonnant qui dynamite les codes, mêlant roman noir, roman d'aventure, de l'imaginaire. Quelles ont été vos influences et comment êtes-vous arrivé à former un tout cohérent ?

T. B. R. - Les personnages le permettent, ils portent le roman, me portent et charrient avec eux un univers, un imaginaire permettant d'explorer plusieurs genres. Il y a l’ingénieur géologue qui entre dans le cadre du roman socio-économique : il est envoyé par la compagnie pour faire fonctionner la plate-forme par tous les moyens. C'est l'homme du système. Son ami d'enfance a choisi un autre cursus en sortie de fac : il est glaciologue sur le terrain et se rend compte en direct de la catastrophe à venir, affolé. Il essaye de prévenir la population qui n'y croit pas. C'est une entrée vers le roman d'aventure. Comme c'est une terre d'enjeux économiques, la mafia russe fait son incursion dans le récit, avec une position dans l'Arctique. Un personnage issu du roman noir va mener contre elle une terrible vengeance avec son élevage de chiens sortis tout droit de la guerre froide. Chaque personnage a son univers et sa bibliothèque. Cela finit par construire un récit choral cohérent qui court vers la catastrophe. Tous ces personnages représentent une facette de la thématique et tout s'agence ainsi comme dans un puzzle. Je me suis aussi appuyé sur les légendes scandinaves traduites du vieux norrois par Tolkien, avec, à l'arrière-plan, sa conférence sur Beowulf.

 

À propos du livre

Dans un village de pêcheurs à l'extrême nord de la Norvège, des amis d'enfance aux destinées différentes vont se retrouver à 40 ans face à un cataclysme inéluctable. Une plate-forme pétrolière au large des côtes, métaphore du monstre par qui vient le chaos, menace ce monde, notre monde. Le récit alterne les points de vue, avec l'ingénieur de cette plate-forme qui revient au village de son enfance et qui représente un système qui le dépasse ; le géologue de terrain qui voit en direct la catastrophe annoncée ; un autre personnage prépare une vengeance impitoyable contre la mafia russe. Mais surtout, ces personnages ont grandi dans l'univers des jeux de rôle et c'est ainsi que la fiction s'immisce avec maestria dans le réel, celui de l'urgence climatique. Et les codes du roman d'aventure, du roman noir et de la fantasy viennent se télescoper pour notre plus grand plaisir !