Essais

Les jeunes et les séismes du XXe siècle

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✒ Isabelle Aurousseau-Couriol

(Librairie de Paris Saint-Étienne)

Le XXe siècle a été traversé par de nombreux bouleversements : deux guerres mondiales, des mouvements révolutionnaires, des guerres civiles… Résistance, collaboration, indignation, fascination. Penchons-nous sur les jeunes, adolescents et étudiants, et leurs choix face aux événements auxquels ils ont été confrontés.

Plusieurs ouvrages parus en cet automne nous entraînent dans les différents chambardements de ce XXe siècle, en premier lieu, la Seconde Guerre mondiale en France et au Japon, ensuite autour de la révolution culturelle en Chine. Tout d’abord, commençons par la Seconde Guerre mondiale et le texte inédit de Simone Veil Pour les générations futures, édité chez Albin Michel. En 2005, invitée à l’occasion d’une semaine de commémoration et de réflexions sur la Shoah à l’École normale supérieure, Simone Veil, dans une intervention, témoigne de son histoire, de son enfance à Nice, de sa déportation, de celle de ses proches, de ce qu’elle a vu à Auschwitz et de la répercussion de ces épreuves sur ses engagements de femme, professionnels et politiques. À l’époque, son ouvrage Une Vie n’est pas encore paru. En réponse aux différentes questions posées par les élèves, elle complète sa conférence sur l’importance du devoir de mémoire. La jeune femme d’alors, devenue ministre et présidente du Parlement européen, tient à ce devoir de transmission également pour ceux et celles qui deviendront parents, enseignants, citoyens. Le texte est complété d’une petite biographie de Simone Veil et comprend de nombreuses notes pour nous expliciter certaines notions dues au contexte de l’époque, il y a déjà presque vingt ans déjà !

Le travail de Christian Kessler, Les Kamikazés 1944-1945, publié chez Perrin, nous emmène à l’autre bout du monde dans ce Japon de la fin de la guerre. En 1943, la guerre est perdue pour les Japonais. À partir d’octobre 1944, la mise en place d’opérations sacrifiant des pilotes ne vise donc plus la victoire mais bien à repousser l’échéance de la défaite. Recrutés largement en Corée, à Taïwan et dans la société japonaise, ces hommes futurs kamikazés (Vent divin) sont de plus en plus jeunes. S’appuyant sur le nationalisme et le bushido, code d’honneur des samouraïs, on promet à ceux-ci l’inscription au sanctuaire Yasukami où l’Empereur se rend chaque année. La bande dessinée et le cinéma l’ayant rendue célèbre, leur tenue est marquante avec ce linge blanc marqué du soleil rouge scindant leur front mais aussi la « ceinture aux 1 000 points ». Les jeunes soldats sont accompagnés d’une poupée mascotte confectionnée et offerte par les femmes de leur famille ou de jeunes lycéennes. L’auteur, après nous avoir décrit les traditions et le quotidien de ces futurs « martyrs », s’est penché sur les dernières lettres envoyées par ces jeunes hommes à leur famille, leurs proches, fiancées et les a reproduites. Très codifiées, voire censurées, elles abordent des thèmes communs : l’exaltation des héros d’hier, la fidélité à l’empereur, le mépris de la mort, la littérature… Cette « célébration de la mort » laissera d’ailleurs des traces avec la formation de l’Armée rouge japonaise, à l’origine du terrorisme international dans les années 1960.

Quelques années plus tard, dirigeons-nous vers la Chine, avec l’impressionnante publication de Tania Branigan, Fantômes rouges aux éditions Stock. L’autrice est journaliste, correspondante pour The Guardian de 2008 à 2015 à Pékin. Elle aborde un sujet peu traité, en particulier en France, et complètement tabou en Chine : la révolution culturelle. Elle relate la Campagne des Cent Fleurs, le Grand Bond en avant et sa famine catastrophique, de 1966 à 1976, date à laquelle Mao meurt. Le procès de la bande des Quatre met alors fin à une décennie de violences : on estime le nombre de morts à deux millions et le nombre d’individus traqués et torturés à trente-six millions. Les lectures de Tania Branigan mais aussi ses rencontres avec des victimes et d’anciens Gardes Rouges permettent la transcription de nombreux témoignages. Ces derniers, souvent très jeunes, ont participé à des dénonciations et des bastonnades parfois mortelles. Malgré le désir de confession de ces hommes et de ces femmes sur les réseaux sociaux, de travaux artistiques, de lieux de souvenirs, la Chine harmonise son Histoire en mettant en place un « oubli collectif ». Néanmoins, la révolution culturelle a des répercussions psychologiques sur les générations actuelles dont les grands-parents ont été investis et marqués par cette période. Le Président Xi Jinping, actuel dirigeant chinois, a été envoyé en rééducation et son père écarté du pouvoir suite à une purge. Pourtant, il se rapproche du monde de Mao, avec un retour du flicage de la population chinoise, remettant en place un culte de la personnalité. On le surnomme d’ailleurs timonier comme son prédécesseur. Un ouvrage incontournable pour comprendre la Chine d’aujourd’hui.

Enfin pour terminer cette réflexion, il faut découvrir le nouvel opus d’Olivier Mannoni aux éditions Héloïse d’Ormesson, Coulée brune. Il se penche, suite aux dernières élections européennes et à la montée importante de l’extrême droite, sur les changements d’expression dans notre langage politique. De quand le dater ? Difficile à dire. Il est vrai qu’avec les nombreux médias à notre disposition, la diffusion sur le thème des complots, jouant sur la haine et les peurs, font la part belle au populisme. Le traducteur de Historiciser le mal connaît bien le vocabulaire et les idées diffusées par Hitler et traque cela dans les discours et interventions des intervenants politiques ou pas. Il nous incite à « raisonner » et à être attentif pour que la démocratie ne devienne pas qu’un terme historique.