Littérature française

Sijie Dai

L’Évangile selon Yong Sheng

illustration
photo libraire

Chronique de Florence Reyre

Librairie Du côté de chez Gibert (Paris)

Dans ce roman puissant et sensuel, Dai Sijie déploie son talent de conteur et nous fait traverser un siècle d’Histoire chinoise grâce à la magnifique et désespérante histoire de son grand-père.

Au commencement était le fils du charpentier. Celui-ci était réputé pour les sifflets que les colombophiles attachaient aux pattes de leurs pigeons. Pendant leur vol, ceux-ci produisaient des sons tous différents qui formaient un concert harmonieux. Dans cette Chine du début du xxe siècle, l’évangélisation prospérait dans les campagnes. Ainsi Yong Sheng fut éduqué par le pasteur et sa fille. Il grandit et devint à son tour le premier pasteur chinois du Sud de la Chine. Quelques années de bonheur, le succès de son ministère, un mariage arrangé, une enfant à élever, puis 1949, la Longue Marche, Mao et la révolution culturelle, l’éradication de toutes les traditions populaires ou bourgeoises. Bien sûr, la religion est au premier plan. Commencent des années de malheurs et de désespoir, la trahison de ceux qu’il aimait et l’inévitable résilience. Impossible de retranscrire la richesse de l’univers de Dai Sijie, entre la rivalité des éleveurs de pigeons, le parfum et la magie de l’arbre qui accompagne toute la vie de Yong Shen, les personnages tantôt bienveillants, tantôt malveillants, toujours complexes dans leurs sentiments. Il y a dans ce roman une puissance d’évocation sans pareille. Tous nos sens sont sollicités comme rarement dans un livre. Des images font mouche et restent gravées dans notre mémoire, que ce soit une poursuite dans la jungle pendant la Longue Marche, la peinture d’une fresque bien des années plus tard, des odeurs pestilentielles ou merveilleuses, la façon de survivre en mangeant des miettes d’œuf pendant un mois de voyage. Totalement happés par l’incroyable injustice des malheurs accablant ce héros minuscule et humble au destin aussi mouvementé qu’improbable, perdu dans une Chine en pleine transformation, on oublie vite de se demander où se situent les parts de romanesque et de réalité de cette superbe évocation.