Bande dessinée

Sébastien Chrisostome , Marine Blandin

La Renarde

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photo libraire

Chronique de Camille Broch

Librairie L'Embarcadère (Saint-Nazaire)

La loi de la jungle s’applique aussi dans nos petites forêts locales... Mais de roi lion, ici, point : la taulière, c’est la Renarde. L’infâme, perverse, cruelle et extrêmement drôle Renarde ! Un format à l’italienne pour un humour absurde à l’anglaise, par deux auteurs français très prometteurs.

Dessin naïf et animaux dotés de la parole nous propulsent souvent dans un conte mignon, où la bonne pensée moralisatrice nous est dispensée crânement en épilogue. Mais, étrangement, quand cela est édité chez Professeur Cyclope, on sent venir l’entourloupe... Marine Blandin et Sébastien Chrisostome, anciens étudiants de l’École de l’image d’Angoulême, le savent manifestement car ils ont choisi la crémerie parfaitement adéquate pour nous servir leur bande dessinée furieusement absurde, génialement bête, totalement dépourvue de morale et de bienséance. Une BD pour les grands enfants un brin dérangés, en somme. C’est sur un format très efficace d’un « gag » par page que l’on suit avec ravissement et incrédulité la créativité perverse de la renarde, vedette de ces deux jeunes auteurs, dans sa recherche – naturelle et louable – de poules et petits lapins à se mettre sous la dent. Son autre recherche – bien plus dérangeante – concerne la destruction psychologique froide et méthodique de son prochain, animal comme humain. Ainsi, vous verrez un chien de garde dire adieu à la sécurité de l’emploi, une lapine décrépir à feu doux devant la perte systématique de ses enfants, un chasseur dont le fusil se révèle inutile face à la rhétorique sans queue ni tête et les gestes obscènes de la Renarde, un cheval obèse aux prises avec ses contradictions (liberté rastafarienne versus avoine à volonté, il faut choisir), des puces agonisantes embarquées clandestinement sur des animaux rassis, un âne tout mou et néanmoins ultra-violent et paranoïaque, un génocide de poules décérébrées, et bon nombre d’autres situations étranges, au gré de cette centaine de pages. Le tout accompagné d’un langage pour le moins fleuri, ce qui ne gâche rien au plaisir du lecteur déjà conquis. On jongle entre rire gras et rire jaune et, plus on avance, meilleur c’est : les auteurs nous font voguer sur le flot déjanté de leurs running gags et font vivre à chaque personnage une épopée digne du Sacré Graal des Monty Python (éprouvante quoique inutile, et complètement absurde, donc). Le rendu pourrait être ras des pâquerettes, pour rester dans l’ambiance bucolique, au vu de l’humour vraiment potache mobilisé ici, mais cet humour est tellement poussé à son paroxysme qu’on a finalement entre nos mains cent pages de franche rigolade (pour qui aime les choses vraiment bêtes et vraiment méchantes). Et puis, une dernière chose : oubliez le loup (c’est un tocard à trois pattes rongé par les puces), le grand méchant, maintenant, c’est la Renarde.