Littérature française

Anne-Prospère de Launay , Sade

Je jure au marquis de Sade, mon amant, de n’être jamais qu’à lui...

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Chronique de Béatrice Putégnat

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Des lettres à feu et à sang échangées entre Anne-Prospère de Launay et le marquis de Sade composent le nouveau volume de la collection « La Lettre et la plume » du Livre de Poche. La demoiselle n’est autre que la jeune belle-sœur, chanoinesse de son état, du divin Marquis. Une correspondance sulfureuse dénichée par Maurice Lever dans les archives familiales.

« Je jure au marquis de Sade, mon amant, de n’être jamais qu’à lui… », la phrase titre du prochain volume de la collection « La Lettre et la Plume » au Livre de Poche est extraite d’une des lettres de la chanoinesse Anne-Prospère de Launay au divin Marquis, dont elle est la jeune belle-sœur et la maîtresse. Une lettre signée de son sang pour une liaison sulfureuse, où le marquis s’essaie à la rédemption par l’amour. Elle a 17 ans, lui 29. C’est un véritable coup de foudre entre la jeune chanoinesse bénédictine et son beau-frère lorsqu’ils se rencontrent au château de la Coste pendant l’été 1769. Les quatre lettres de Anne-Prospère de Launay, retrouvées dans les archives familiales, donnent le ton et la chronologie de cette liaison scandaleuse qui met en scène « les thèmes les plus obsessionnels de l’imaginaire sadien. Inceste, profanation, dégradation, blasphème : tout s’accorde, en vérité, pour conduire à son paroxysme la rêverie érotique de Donatien. Mlle de Launay préfigure l’infinie pureté de Justine… » explique Maurice Lever. La première lettre, datée de décembre 1769, est un serment d’amour de la jeune femme, qui fait à son amant « le sacrifice de ma vie, de mon amour et de mes sentiments, avec la même ardeur que celui que je lui ai fait de ma virginité… » Un sacrifice signé de son sang. Trois ans plus tard, Mlle de Launay évoque dans une missive l’affaire des prostituées de Marseille. Trompée, elle n’en donne pas moins des conseils au marquis pour sa défense, prête à renoncer à la vie pour celui qu’elle aime : « N’ayant point fait votre bonheur, je n’ai plus qu’à mourir. » Néanmoins, les amants se retrouvent et fuient en Italie. Mais une infidélité de l’écrivain provoque la séparation. Mlle de Launay annonce au marquis sa décision de se retirer du monde, de rentrer au couvent où « Une vie austère me rapprochera du terme de mes désirs. Je tendrai mes bras vers la mort, elle volera s’y reposer et j’y serai heureuse. » Dans la seule lettre (dont la fin manque) du marquis à Mlle de Launay, celui-ci clame son attachement à « son cher amour » et fait état d’une tentative de suicide : « J’ai été assez malheureux pour ne faire que me blesser. Une autre fois, je serai plus heureux… »

Des lettres comme un roman. Publiées en 2005 chez Fayard, ces lettres inédites retrouvées et mises en perspective par Maurice Lever grâce à ses recherches dans les archives familiales du marquis, trouvent tout naturellement leur place dans la collection « La Lettre et la plume ». Inaugurée en 2010, cette collection offre une perspective différente sur les rapports entre littérature et Histoire au travers d’écrits intimes, de mémoires, de journaux, de chroniques. Outre la correspondance de Mlle de Launay et du marquis de Sade, le recueil comprend une lettre de M me de Sade à sa sœur et six lettres du marquis à sa femme. Une façon de rentrer dans l’œuvre de l’écrivain, dans sa biographie. L’épistolaire confère une immédiateté, une tension, une véracité à une partie de cette vie romanesque en diable. Et l’on ne peut que penser aux Liaisons dangereuses en lisant ces lettres adressées à et rédigées par celui qui se comparait à un Galilée « persécuté pour avoir découvert les secrets du ciel… Je le suis pour avoir révélé la conscience des hommes. L’esprit, la science et l’imagination seront toujours le désespoir des gens stupides. »

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