Littérature française

Yasmina Reza

Babylone

illustration

Chronique de Emmanuelle George

Librairie Gwalarn (Lannion)

Quand la dramaturge Yasmina Reza explore les ressorts du roman policier pour livrer un drame contemporain, c’est glaçant, c’est drôle, c’est nerveux et c’est terriblement juste. Entre satire sociale et huis clos bien noir, on se délecte littéralement d’un texte qui se lit quasiment d’une traite.

Pas facile de faire part de son enthousiasme pour le nouveau texte de Yasmina Reza sans en dévoiler trop la trame, l’enjeu, et le ton et, bien entendu, sans le paraphraser à tord et à travers. Saluons tout d’abord les partis pris de l’auteure et de son éditeur : le titre est sobre, un tantinet austère, et pourtant si symbolique ; le bandeau du livre et cette sublime photographie de couple en noir et blanc si suggestive et envoûtante ; la quatrième de couverture (un extrait du roman) si troublante et un rien éloquente. En effet, dans ce roman, le drame, la chute, la perte, la trace, le couple, le rire et l’irrémédiable résonnent profondément. On aimerait pouvoir dire au lecteur qui n’a encore eu aucun écho de ce texte : « Vas-y, lis-le et crois-moi, tu ne seras pas déçu, c’est un peu comme dans un film de Chabrol ! » On pourrait juste lui dire que parfois, et il le sait, une soirée entre amis, un apéritif printanier qu’on a voulu léger et spontané, avec voisins et amis, peut partir en vrille et très mal se finir. Hélas, déjà, on en a trop dit. Assurément, ici, le drame est passionnel. Et sa mise en scène est passionnée et passionnante. Le couple et ses histoires, l’amour et ses questionnements, l’amitié et ses limites, tout comme les frustrations, les vexations, les ressentiments, la mélancolie et le temps qui passe, etc., Yasmina Reza les donne à voir et entendre dans de menus détails, les décrit et les suggère dans leur banalité ordinaire, leur médiocrité récurrente avec un indéniable talent. Mais c’est surtout par le rire et la satire que la romancière excelle à déployer son regard sur nos vies contemporaines minuscules. Ce soir-là, c’est Elizabeth et Pierre, la soixantaine confortable qui reçoivent autour d’un apéritif dînatoire. Leurs voisins, Lydie et Jean-Lino Manoscrivi qu’ils connaissent à peine, font partie des convives. L’ambiance est chaleureuse, on rit même un peu, beaucoup. La bonne humeur affable, les sourires de circonstance sont autant de masques qui, on le pressent, un peu, beaucoup, tombent à un moment quand soudain, les nerfs lâchent... Glaçant, drôle, grinçant, nerveux et terriblement juste, ce huis clos se révèle être une expérience littéraire remarquable.

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