Littérature française

Tristan Garcia

Âmes

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photo libraire

Chronique de Anaïs Ballin

Librairie Les mots et les choses (Boulogne-Billancourt)

C’est l’un des événements littéraires de cette rentrée. Il faut dire qu’en la matière, Tristan Garcia n’y va pas avec le dos de la cuillère dans ce qui est annoncé comme une œuvre dantesque au potentiel immense : une Histoire de la souffrance à travers les âges et l’Histoire. Plus qu’un programme, un sacerdoce, si l’on ose dire !

Depuis maintenant près d’une dizaine d’années, Tristan Garcia, avec tout ce qu’il peut avoir de talent et de discrétion, s’est installé dans le paysage littéraire français. Véritable caméléon de la littérature, à la fois romancier, philosophe et penseur exigeant, il n’a de cesse de questionner le roman, le réel et l’écriture de manière générale. Le projet peut sembler fou – à vrai dire, il l’est sûrement un peu. Et ce n’est pas ce premier tome, époustouflant d’érudition et de splendeur, qui nous dira le contraire. Premier volet de ce qui doit être une trilogie couvrant l’Histoire de l’humanité (et même une partie de son futur) sous le prisme de la souffrance, cette première pierre à l’édifice, sobrement intitulée Âmes, nous montre à nouveau tout le génie, la profondeur, la culture et le talent littéraire d’un écrivain majeur de notre temps. « Rien n’a fait basculer le monde d’un état d’insensibilité absolue au frémissement de la toute première sensation. La douleur n’a pas surgi de l’absence de douleur, soudaine, brève et violente, à la façon dont la foudre frappe : personne n’a souffert le premier. De la mécanique du vivant a plutôt émané un bruit de fond, tel un bourdonnement, et du bourdonnement a émergé une ligne mélodique audible à elle-même : la sensibilité ». Nous pourrions presque nous en tenir à cette citation, tant elle dit tout du talent et de la sensibilité de Tristan Garcia, justement. Se serait néanmoins dommage de ne pas vous dire l’incroyable envergure de cette écriture, cette capacité à nous emmener là où nous n’aurions pas nécessairement été et à le faire avec une fluidité déconcertante. Les mondes de Tristan Garcia sont infinis, sans limites. On ne sait jamais à l’avance où l’on va et c’est précisément ce qui rend la lecture de ce premier tome si passionnante. N’ayez pas peur de souffrir, il n’en est rien, tout syndrome de Stendhal mis à part.