Littérature française

Frédéric Viguier

La vérité, toute la vérité ? Mais encore ?

L'entretien par Jean-François Delapré

Librairie Saint-Christophe (Lesneven)

Une mère veut qu’un auteur écrive pour réhabiliter son fils. Un procès-verbal, la vérité du fils, la vérité de sa fille, de sa femme. Mais derrière les mots se devinent toutes les ambiguïtés des personnages. Jusqu’à la dernière phrase, l’auteur nous entraîne dans une spirale aux points de suspension sans fin.

Qui est cet écrivain qui se définit comme intéressé par le malheur des autres, qui pourrait faire le sujet d’un roman aussi « implacable, glaçant et dérangeant » ?

Frédéric Viguier - C’est déjà l’auteur d’un précédent livre, Aveu de faiblesses, que j’avais écrit en partant d’un fait divers connu. Pour ce livre, La vérité n’aura pas lieu, c’est une lectrice qui m’a demandé d’écrire l’histoire de son fils, un homme de 45 ans qui s’était suicidé à la suite d’une accusation d’acte pédophile. Ce monsieur était marié et père de famille, et cette lectrice me demandait donc de raconter le drame vécu par son fils et son entourage. Elle ne voulait pas d’un récit journalistique, ni d’une biographie, mais d’un roman.

 

Pourquoi souhaiter un roman alors que son projet était de raconter une histoire vraie ?

F. V. - Parce que cette femme mettait la littérature au-dessus de tout.

 

Voulait-elle, à travers ce roman, réhabiliter son fils des accusations portées contre lui ?

F. V. - Oui, je le pense. Sans qu’elle me le dise, cela semblait évident. Et puisque j’avais la volonté de me confronter à la vérité, un peu comme Truman Capote avec son roman De sang-froid, l’occasion était tentante. Capote avait revendiqué d’avoir inventé le « roman vérité », c’est-à-dire le roman qui reste un objet littéraire tout en se bornant à raconter les faits et rien que les faits. De sang-froid raconte un quadruple meurtre, au plus près de la réalité, et Truman Capote affirmait qu’il était possible de faire de la littérature à partir d’un fait divers. J’étais obsédé par cette ambition, je l’avais effleurée lors de mon roman précédent (Aveu de faiblesses) et voilà que l’on m’amenait sur un plateau un fait divers. Il ne me restait plus qu’à vérifier si j’allais pouvoir me rapprocher de la vérité, sans m’éloigner de la réalité.

 

Sauf que vous vous heurtez à Gisèle Chabaud, cette femme qui veut que vous écriviez son roman, et le narrateur du roman, qui est l’auteur du livre commandé, ne souhaite pas se laisser manipuler !

F. V. - Ce que n’évoque pas Truman Capote dans son roman, mais ce qui l’a perturbé sur le tard, ce sont les états d’âme de l’homme et de l’écrivain lorsqu’ils sont confrontés aux protagonistes bien vivants du drame qu’ils se sont engagés à raconter. La vérité n’aura pas lieu, c’est donc aussi le roman du questionnement et du doute, surtout lorsque l’intuition de l’écrivain vient chambouler la réalité qu’on cherche à lui imposer. Le problème de l’artiste, ce qui fait son utilité, c’est que c’est justement ce qui ne se voit pas qui l’intrigue. Et concernant mon narrateur, ce qui l’intéresse n’est pas seulement ce qui ne se voit pas mais ce qu’on cherche à lui cacher.

 

S’il y a plusieurs manières de penser, il y a aussi plusieurs vérités qui viennent se heurter et heurter le lecteur, ce qui rend votre roman addictif. Vous faites parler tous les protagonistes du drame (le père avant son suicide, sa femme et sa fille après son décès). Chacun a donc sa vérité et vous nous laissez face à toutes ces ambiguïtés, à toutes ces vérités, qui sont toutes plausibles au fil des pages.

F. V. - Je crois que les romans ne sont pas là pour nous donner des réponses. Einstein, qui n’a pourtant jamais écrit de romans, disait que les bons mathématiciens ne sont pas là pour donner des réponses mais pour poser les bonnes questions. Un écrivain doit respecter ce principe, il me semble. Lorsque l’on referme un roman et que l’on se pose des questions, alors on n’oubliera pas sa lecture.

 

Et justement, est-ce que chacun de nous ne lit pas votre roman à l’aune de sa propre éducation, de cette manière qu’on nous a donné de voir la société, d’où nos interrogations multiples ?

F. V. - C’est très vrai. C’est ce que dit le narrateur à sa commanditaire, au début du roman, à savoir que le pouvoir, c’est le lecteur qui le possède. C’est le lecteur qui interprète la réalité décrite par le narrateur et c’est lui aussi qui choisit ses coupables.

 

Certains livres vous attrapent par la peau du dos et ne vous laissent pas en paix. Ce peut être un titre, les premières phrases et cette idée implacable que vous n’allez pas avoir la paix avant d’en avoir fini, avec les mots, avec l’auteur, avec toutes ces fausses vérités qu’il vous glisse comme autant de peaux de bananes. Frédéric Viguier nous interroge, nous met en joue. Et vous, vous en pensez quoi ? On tourne en rond, en boucle. Cette vérité qui n’aura pas lieu est peut-être celle que vous allez vous forger au fil des pages, sans que jamais vous ne puissiez savoir qui vous ment. Il y a si peu du mensonge à la vérité : un fétu de paille, un mot en trop, une impression fugace, une dernière phrase.