Essais

Ruwen Ogien

Philosopher ou faire l’amour

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photo libraire

Chronique de Rodolphe Gillard

Librairie des Halles (Niort)

Ruwen Ogien signe un essai à mi-chemin entre la ballade musicale et le traité philosophique. Mais un traité philosophique qui porterait sur l’amour, sujet éternellement débattu et irrémédiablement mystérieux.

Ruwen Ogien nous a habitués dans ses ouvrages précédents à aborder d’étranges rivages philosophiques et à y poser un regard singulier. Citons notamment Pourquoi tant de honte ? (Pleins feux), Un portrait logique et moral de la haine (Éclat), Penser la pornographie (PUF), ainsi qu’un essai consacré à la bioéthique en 2009. Lire Ruwen Ogien, c’est l’assurance de s’immerger dans un monde de concepts et d’idées… avec le sourire. Car cet éminent penseur pratique la philosophie analytique sans jamais se départir d’un solide sens de l’humour et d’une savoureuse distance sur les choses. Dans ce nouvel essai, il prend énergiquement le contre-pied de ceux qui, à l’instar de Paul Ricoeur, considèrent que soumettre le discours amoureux à une approche analytique ou logique est cause d’« aplatissement ». Face à l’uniformisation qui vide le sujet d’une partie de sa substance, Ruwen Ogien invite à « libérer l’amour de la cage mentale où elle est enfermée ». Résolument iconoclaste, son exploration des mille et un visages de l’amour fait, au passage, vaciller quelques idoles. Il affirme ainsi, au contraire de Simone de Beauvoir, que l’amour n’est pas une émotion, qu’il n’existe aucune différence entre les hommes et les femmes dans leur façon de vivre une relation amoureuse, ou que l’amour maternel n’est pas forcément désintéressé. Afin d’illustrer son propos, il utilise des « matériaux moins nobles » que la littérature classique ou la poésie, tels que l’enquête d’opinion ou… la chanson. Démonstration avec ce passage d’une chanson interprétée par Anna Karina dans le film de Jean-Luc Godard Pierrot le Fou : « Jamais nous n’aurions cru être à jamais pris par l’amour nous qui étions si inconstants », qui lui sert à expliciter le principe de « conception causale historique », c’est-à-dire le lien physique que l’on entretient avec une personne à travers le temps. Ou comment philosopher en chanson !