Bande dessinée

Manu Larcenet

La Route

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photo libraire

Chronique de Julien Marsa

Librairie L'Infinie Comédie (Bourg-la-Reine)

Une adaptation du roman le plus radical et minimaliste de Cormac McCarthy par Manu Larcenet, l’auteur des très sombres Blast et Le Rapport de Brodeck : voilà un projet qui avait de quoi être très alléchant. Et le résultat est une grande réussite.

 

Dans un monde post-apocalyptique ravagé par le froid et les pluies de cendre, un homme et son fils tentent de survivre et de rejoindre le Sud, dans l’espoir de jours meilleurs. Un univers implacable où toute lueur d’humanité semble définitivement éteinte.

Poussant un caddie rempli d'objets, le père et son fils avancent la peur au ventre, en cherchant à échapper aux pièges tendus par d’autres survivants et, surtout, aux hordes sauvages qui, pour subsister, ont recours au cannibalisme. Chemin faisant, il faut également trouver des vivres et affronter le froid, dans un monde où le repos n’existe plus. Quel sens peut-on alors donner à la vie ? Une direction, c’est tout ce qu’il reste. Le Sud. Peut-être que le Sud offrira un lieu plus propice à la vie. Manu Larcenet, qui ne promettait rien de plus que de coller à la route du titre du roman de Cormac McCarthy, en garde également toute la dureté et l’âpreté pour décrire l’avancée fastidieuse de deux personnages dans un monde devenu invivable. Le parcours du père et de son fils reste un calvaire permanent et le fil ténu qui les unit est le centre même du récit. Qu’est-ce qui fait encore de cet homme un père, lui qui se réduit à devoir protéger son fils du reste du monde et à lui prodiguer quelques menues leçons de vie dont il n’est même pas sûr de pouvoir se les appliquer à lui-même ? Et cet enfant qui a vu tant de cadavres décomposés et répète parfois qu’il préférerait mourir, que reste-t-il de son innocence ? Derrière l’aspect spectaculaire du survival post-apocalyptique se cache donc un récit peuplé de questionnements philosophiques. Le travail de Manu Larcenet, qui rend ce monde à la fois très palpable (les nuées de cendres, les lambeaux de cadavres, les corps décharnés des deux personnages) et abstrait (la brume qui envahit chaque case empêche littéralement de voir le monde et l’évide de sa substance), restitue avec fidélité l’esprit du roman, entre détails prosaïques de la survie et interrogations métaphysiques. Quelle part d’humanité peut survivre en vous lorsque le monde qui vous entoure en est totalement dépourvu ? C’est cette même question qui semble réitérée page après page et fait écho à la répétitivité du voyage entrepris par le père et son fils, où l’on doit chaque jour trouver des vivres et un nouvel abri. Le lecteur devra être bien armé pour affronter ce récit car Manu Larcenet ne fait aucune concession dans la représentation de l’horreur et fait autant appel à l’univers du film de zombies qu’à des références à Mad Max. Le tout dans un noir et blanc radical parfois teinté du rouge de la colère et du sang, et qui, page après page, expose la rudesse psychologique inouïe de cet univers. Ce qui n’empêche pas de voir émerger chez le lecteur ‒ et c’est peut-être le plus terrassant ‒ une certaine empathie pour la déroute de cette humanité ravagée.