Littérature française

Pascal Quignard

Dans ce jardin qu'on aimait

ML

✒ Michel Loyez

(Librairie Livresse, Villeneuve-sur-Lot)

Pascal Quignard s’émeut d’un jardin qui fait visage – celui de l’épouse morte en couches d’un pasteur musicien –, en fait le cœur battant d’un récit « à cour », tragédie « à jardin » et inaugure la forme frêle de la vie sonore

L’épouse du Révérend Simeon Pease Cheney (1818-1890) meurt à 24 ans en donnant naissance à leur fille, un printemps, après celui de leur tout nouveau bonheur d’époux « dans ce jardin qu’on aimait ». Ce bonheur suspendu, Quignard le donne à vivre au travers d’un chant polyphonique où alternent, pour mieux se rejoindre, la voix mal consolée mais extatique du pasteur, l’interprétation mélancolique d’un récitant mi-protagoniste mi-coryphée, et la longue didascalie du narrateur-metteur en scène. En face, la fille rejetée pousse sa monodie opiniâtre. Ce kaléidoscope se déroule en « une suite de scènes […] polies » par Quignard. Un décor épuré imaginaire entre Noir et Lumière ; des personnages – plus et moins qu’on ne le croit ; des entrées et sorties de scène ouvrant la théâtralité, élargissant l’espace et le temps ; des monologues pour soi-même, des dialogues au cordeau – comme un essai chanté où la musique coule de sens. À l’approche d’un hiver où l’ennui s’installe avec la crainte du froid, ces voix débusquent les tours joués par le souvenir qui porte le vieil homme à une idéalisation illusoire. Elles crient le désespoir de l’enfant dépouillée de son « être à l’autre » par cet amour exclusif. Car sa beauté, sa jeunesse et la ressemblance avec sa mère, attisant le manque, la rendent insupportable au père. On se retrouve à lire une sorte de partition poétique, transcription d’une transcription opérée par le pasteur, qui de 1860 à 1880 « note » inlassablement les « sons sauvages » du jardin sur des cahiers qui composent son deuil et font advenir l’absente.

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