Bettina Eisner

Cinq ans après la chute du mur, Rudy, éminent historien, est invité à Leipzig pour parler des limes, ces murailles qui délimitaient (déjà !) les frontières du territoire germain dans l’Antiquité romaine. Dira-t-on assez combien confortable est la position de professeur invité : accueilli, hébergé, convié à dîner avec quelques sommités locales avides de vous connaître… Mais l’ensorcelante Bettina Eisner détourne aussitôt Rudy de cette aimable routine, l’attirant dans un jeu de dupes et de miroirs où les fantômes de son passé se mêlent à une dangereuse affaire de corruption. Le voyage de Rudy, passé à tabac au sortir d’un restaurant, va basculer dans un cauchemar dont la troublante espionne connaît la signification. Avec art, Michel Deutsch évoque la grisaille d’une Allemagne plombée par la guerre, la reconstruction et l’échec du socialisme, dépeint ses rues grises, observe ses protagonistes, reconstitue avec un réalisme confondant les conversations d’époque et nous dévoile l’aventure humaine invraisemblable de cette transition historique. Au passage, l’ex-RDA laisse sur le carreau un sérieux contingent d’agents troubles en mal de reconversion, auxquels le capitalisme corrompu offre ses débouchés. Vécue de l’intérieur, la machination qui happe Rudy appelle de beaux retours sur son passé new-yorkais, son ex-femme formant avec la belle espionne un chiasme sentimental troublant. Avec un beau sens du contrepoint, l’auteur évoque le New York bouillonnant des années 1980, dont certaines figures puisaient leur inspiration dans le Berlin de l’entre-deux-guerres. Auteur publié, homme de théâtre, poète Michel Deutsch est un primo-romancier que nous font découvrir les éditions Christian Bourgois, avec cette intrigue implacable et habitée.