Voici un livre intrigant, voire dérangeant, et c’est tant mieux. Un livre original, aussi. L’auteur, d’origine suédoise, nous emmène dans la Finlande de l’année 1938, une période et un lieu en général méconnus de la plupart d’entre nous, lecteurs français. C’est donc l’occasion d’en savoir davantage sur un pays proche de chez nous, qui a fait face à des soubresauts politiques difficiles dans l’entre-deux guerres. À travers deux personnages principaux très attachants, une histoire qui nous tient en haleine, écrite de manière à la fois intimiste et cinématographique, le lecteur entre dans une histoire de vengeance : celle d’une femme qui a connu l’internement pour raisons politiques, qui en est sortie, et qui, des années après, reconnaît par hasard son tortionnaire. Le second personnage n’est pas moins énigmatique, pris entre son travail d’avocat, sa fréquentation du Club du mercredi, et son divorce qui le rend malheureux. Je vous laisse découvrir la suite…
Page — Vous êtes très connu du public finnois mais beaucoup moins ici en France. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Kjell Westö — Je suis né à Helsinki où je vis actuellement. Ma famille appartient à la moyenne bourgeoisie. Enfant, j’ai très vite compris que je voulais devenir artiste. Au début, je me suis orienté vers la musique, étant passionné de guitare. Mais je me suis vite aperçu qu’en réalité j’étais meilleur écrivain que musicien. J’ai donc délaissé la musique pour une carrière de journaliste. J’ai publié un premier livre de poésie en 1986. Puis, en 1989, un recueil de mes nouvelles est paru. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de devenir écrivain à plein temps, d’en faire mon métier. C’était une période très difficile car je n’étais pas connu. Heureusement, en 1996, j’ai publié un premier roman qui a immédiatement été un succès en Suède et en Finlande.
P — Présentez-nous le contexte de votre roman Un mirage finlandais et les raisons pour lesquelles vous l’avez écrit.
K. W. — J’avais écrit un premier roman intitulé Les Sept Livres des Helsingfors (Gaïa), qui se déroulait entre 1905 et 1938. Je voulais décrire la génération née entre 1900 et 1920. C’est un roman épique, avec de nombreux personnages et de nombreuses histoires. Après ce livre, j’avais envie d’écrire un texte où n’apparaîtraient qu’un ou deux personnages centraux. Et je voulais aussi situer l’action en 1938, car il me semble que c’est une année charnière, pendant laquelle tout s’écroule alors que les gens font comme si de rien n’était. C’est impressionnant, avec le recul, ce contraste entre l’Histoire et cette espèce de déni d’une société qui refuse de voir le monde entrer en guerre, qui veut continuer à être heureuse en dépit du désastre qui se prépare…
P — Racontez-nous le sujet de votre roman en quelques mots.
K. W. — Il se déroule en 1938, alors que les gens essaient de s’extirper de la noirceur ambiante. Claes Thune est avocat. Il fait partie d’un club d’amis qui se réunissent tous les mercredis, le « Club du mercredi ». Sur un plan personnel, Thune est en plein divorce et traverse une période difficile. Il vient d’embaucher une secrétaire, Matilda, dont il ne sait pas grand-chose. Un soir, alors que le Club du mercredi s’est donné rendez-vous au cabinet de Claes Thune, Matilda reconnaît parmi l’un des membres du club son ancien tortionnaire… Je raconte donc l’histoire de deux personnages malmenés par la vie, qui ont chacun des blessures et qui vont en quelque sorte les confronter.
P — Comment vous est venue l’idée du Club du mercredi ?
K. W. — Le fait que des hommes se réunissent exclusivement entre eux m’a toujours fasciné. Il me semble que c’est se priver de quelque chose de cette vision singulière que peuvent apporter les femmes. Mais je voulais aussi traiter du thème de l’amitié, qui est pour moi une valeur très importante. Derrière l’amitié, il y a la fidélité, la trahison… Je voulais écrire sur ces thèmes.
P — Y a-t-il des personnages que vous préférez dans votre livre ?
K. W. — Les deux personnages principaux sont pour moi très importants, et, évidemment ils contiennent tous les deux un peu de moi-même. Il est vrai que j’ai particulièrement aimé dresser le personnage de Matilda, une personne qui a été très maltraitée au début de sa vie et qui a finalement réussi à dépasser les horreurs qu’elle a vécues pour se reconstruire et mener une existence « normale ». À vrai dire, je suis assez admiratif de ce personnage. Il y a aussi le fait que certains critiques m’avaient reproché dans mes précédents livres de m’attacher à des personnages masculins uniquement ; je voulais donc montrer que je pouvais aussi créer des héroïnes. Matilda est pour moi le personnage féminin le plus réussi de l’ensemble de mes romans.