Auguste, Agnès, José et Ferdinand ne sont pas des rebelles. On pourrait même les qualifier de gentils disciplinés. Chacun compose avec ses névroses ou les aléas de l’existence sans aucune illusion, mais avec suffisamment d’énergie pour ne pas sombrer. Jusqu’au moment où ce qui était supportable devient intolérable et que chacun, à sa manière, décide de prendre son destin en main. Auguste, quinquagénaire, fils dévoué et patient, va subitement fuguer en emportant les sacro-saints lauriers-roses maternels. Depuis des années, Agnès essaie de tenir sa famille à distance. Mais sa mère est en train de mourir pour la cinquième fois et ses frères la harcèlent au téléphone pour qu’elle vienne lui dire adieu. Quand à Ferdinand, il n’en peut plus des barbecues, de sa femme volage et de sa fille qui est en guerre contre lui. Et José ? Il a évité la vie toute sa vie. C’est la télé qui lui raconte le monde. La vie va-t-elle enfin le rattraper ?
Page — On n’écrit pas un roman sur l’envie ou le besoin irrépressible de « mettre la clef sous la porte » tout à fait par hasard. L’avez-vous écrit suite à une expérience personnelle ?
Pascale Gautier — C’est le roman/reflet de plusieurs années de crise personnelle. Je crois que nous passons tous par-là. Un moment dans la vie où on est saturé, sur le plan physique, personnel comme professionnel. On sent que le temps passe, ou plutôt a passé, que nous devenons vieux, ou presque vieux. Cela ne va pas sans douleur. C’est ce moment de prise de conscience qui est le sujet du roman.
P. — Comme dans votre précédent livre, Les Vieilles, vous abordez un sujet sensible avec une légèreté de ton jubilatoire pour le lecteur. Quelle importance accordez-vous à l’humour ?
P. G. — Effectivement, c’est avant tout un roman placé sous le signe du rire. Parce que le rire est une arme formidable. Et que si on ne riait pas de notre existence, on deviendrait tous fous ! Le rire décape et dynamise. C’est un tempo que j’affectionne. Je n’aime pas me prendre au sérieux. Pourtant, il n’y a pas plus sérieux que le rire. Il y a donc, en premier, le rire. Puis, au fil des chapitres, peu à peu, celui-ci cède la place à l’émotion (en tous les cas, je l’espère !) et à la joie.
P. — Vous parvenez à un savant équilibre entre drôlerie et émotion, en particulier quand vous évoquez l’enfance, comme si la réminiscence de certains épisodes de leur jeunesse pouvait aider vos personnages à prendre enfin leur décision.
P. G. — La crise que chaque personnage traverse les amène à s’émanciper. Elle a la faculté, parfois, de libérer. Le roman va vers un véritable accès de joie final. Auguste – le personnage qui ouvre le roman et qui le clôt – se fait la belle. Il ne se fera plus avoir par ses parents tyranniques et par son métier qui l’ennuie. Il désire autre chose. Cela vient lentement. Mais il ouvre les yeux, enfin, et choisit la liberté. Il y a quatre personnages principaux qui ont comme point commun cette fatigue existentielle. Ils ne se croiseront pas, mais ils prendront tous la même direction. L’autre point commun entre eux, c’est leur rapport à la famille. Familles je vous aime et familles je vous hais. Nos vies sont marquées à jamais par nos rapports premiers. C’est une constante de tous mes romans. Que deviendrions-nous si ne pesait pas, sur nos épaules, le joug si lourd de la famille ?
P. — Comment naissent vos romans et dans quel état d’esprit êtes-vous quand vient l’écriture ?
P. G. — Écrire est toujours un moment heureux. J’ai de longues périodes de blanc. Et puis, un jour, de nouveau, la magie opère. C’est alors un moment intense d’excitation et de jubilation. Quand j’écris, je ne me sens jamais seule. Il y a, avec moi, tous les écrivains des siècles passés, tous ceux que j’aime, qui me nourrissent et m’aident à garder les yeux ouverts.