PAGE : Joyce Maynard, votre nom est très souvent associé à celui de J. D. Salinger, cette association vous gêne-t-elle ?
Joyce Maynard : C’est vrai que ma vie a été de nombreuses années liée à celle de Salinger, alors qu’en réalité je ne l’ai réellement côtoyé que quelques mois, mais ces mois ont été décisifs pour ma vie et ma carrière d’écrivain. J’avais 18 ans lorsque j’ai publié en 1972, dans le New York Times, un article intitulé « Une jeune fille de 18 ans se retourne sur son passé ». Cet article a eu un très fort retentissement, j’ai reçu des milliers de lettres, dont une de Salinger. Nous avons entamé une correspondance qui est vite devenue une correspondance amoureuse. Poussée par ma mère, je suis allée le voir et j’ai vécu presque deux ans avec lui. Il a été mon premier amour, mon mentor, mais j’ai vécu avec lui des moments très difficiles que je raconte dans mon autobiographie Et devant moi le monde. Pour répondre à votre question, je peux dire que c’est depuis que j’ai écrit mon autobiographie que je me suis libérée de cette image de « petite amie de J. D. » en l’acceptant. Je me considère comme une écrivaine à part entière, c’est ma vie.
P. : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur les raisons qui vous ont poussée à écrire ce fameux article, et à quoi a été dû son succès retentissant ?
J. M. : Mes parents, en particulier ma mère, auraient souhaité vivre une « grande vie », briller sur le plan intellectuel, être connus. Mais nous vivions dans une petite ville et à l’époque ce n’était pas facile. Aussi ma mère m’a-t-elle beaucoup encouragée à sortir du lot, de manière intrusive, en reportant sur moi ses frustrations. En même temps, je voulais être journaliste, j’ai donc écrit au rédacteur en chef du New York Times qui m’a commandé cet article. Je crois que les lecteurs ont été saisis par mon intrépidité, ils étaient curieux de connaître la vie d’une jeune fille de 18 ans en 1972. Et puis, la photo qui accompagnait cet article était très flatteuse, elle montrait une joie de vivre qui devait faire envie.
P. : Vos relations avec votre mère ont été apparemment terribles…
J. M. : C’est vrai que ma mère s’est en quelque sorte appropriée ma vie, elle a été très directive avec moi et c’était difficile de vivre avec une telle mère, mais à l’époque je ne m’en rendais pas vraiment compte. Par exemple, elle a elle-même confectionné la robe que j’ai portée le jour où j’ai rencontré Salinger ! Mais aujourd’hui je lui ai pardonné, et j’ai élevé mes enfants en prenant soin de ne pas reproduire ce schéma de mère terriblement envahissante.
P. : Votre avant-dernier roman publié en France et disponible en poche (10/18) s’intitule Long week-end. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
J. M. : J’ai écrit ce roman après l’autobiographie que j’ai publiée et qui a créé un scandale dans le milieu littéraire, parce que j’osais « m’attaquer » au grand Salinger ! Aussi, quand j’ai voulu trouver un éditeur pour Long week-end, aucun ne voulait me publier, ni même lire le manuscrit ! Alors mon agent m’a suggéré d’envoyer le texte de manière anonyme. Ça a marché, et il a finalement été publié sous mon nom – pour la petite histoire, les éditeurs qui l’ont lu sans savoir que j’en étais l’auteur, étaient persuadés que celui-ci était un homme. C’est un livre auquel je tiens beaucoup, que j’ai écrit très vite, en quelques semaines, en y travaillant nuit et jour. Un film est actuellement en cours de tournage et sortira l’été prochain.
P. : Pouvez-vous nous présenter brièvement Les Filles de l’ouragan, qui vient de paraître ?
J. M. : Lorsque je décide d’écrire un roman, je me retire pour plusieurs semaines dans un endroit isolé. En l’occurrence, j’ai trouvé refuge dans le Wyoming, sans avoir d’idée préconçue sur le sujet ni sur les personnages. Puis je suis tombée sur un petit article dans le journal qui parlait d’un fait divers autour de deux filles nées le même jour dans la même maternité, et des relations très particulières qui s’étaient tissées entre elles. J’en ai fait une histoire. Je suis très intéressée par les secrets de famille, je trouve primordial de savoir qui on est et d’où l’on vient. Je voulais aussi écrire un roman qui se passe sur une certaine durée. Long week-end se déroule sur six jours, Les Filles de l’ouragan sur plusieurs décennies.
P. : Comment qualifieriez-vous votre univers littéraire ?
J. M. : J’aime raconter des histoires, de manière simple et directe. Je suis aussi assez fascinée par le monde de l’adolescence. J’ai été très marquée par la lecture du Journal d’Anne Frank, par exemple.