Jeunesse

Carole Trébor

Qui était Louise Michel ?

Entretien par Aude Marzin

(Librairie Plaisir de lire, Plaisir)

Louise Michel. Vous avez sûrement entendu son nom mais savez-vous où sont nés ses convictions, ses combats pour l’éducation des filles, contre la violence ? Tout commence dès sa conception : née bâtarde d’un jeune aristocrate qui ne la reconnaîtra jamais, elle sera élevée par ses grands-parents paternels, républicains convaincus, et une mère bigote. De quoi forger une révolutionnaire.

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire sur Louise Michel ?

Carole Trébor Icône féministe et révolutionnaire, la figure de Louise Michel me fascine depuis longtemps. Ayant travaillé sur la Commune de Paris pour la BD Rouges Estampes (chez Steinkis), je me suis intéressée de manière plus poussée à son destin. Son courage, son inflexibilité et sa capacité à se libérer de toutes sortes de carcans m’ont donné envie d’écrire sur elle. Ses engagements sont d’une grande modernité : dès la fin du XIXe siècle, elle est consciente de tous les types de dominations qui sont au fondement de la société – celle des hommes sur les femmes, des Occidentaux sur les autochtones, des riches sur les pauvres, des êtres humains sur les animaux et la nature. Elle lutte pour abolir ces injustices à tous les niveaux, en tant qu’institutrice républicaine auprès des enfants les plus miséreux (en particulier les filles), en tant que combattante armée auprès des communards, en tant que femme humaniste auprès des Kanaks… Une héroïne très inspirante !

 

Quelles ont été vos sources d’inspiration pour faire connaissance avec elle ?

C. T. J’ai commencé par lire ses mémoires et son ouvrage sur la Commune, deux pavés fourmillants, écrits à une époque où elle est déjà une célébrité. Ses mots sont tributaires de la subjectivité de ses souvenirs et de son statut d’icône. J’ai donc eu besoin de lire les témoignages, les romans, les articles, parfois élogieux, parfois haineux – jamais neutres – qui lui sont consacrés. Puis, c’est en allant à Vroncourt, dans le village où elle a grandi, et en lisant des romans du XIXe siècle que j’ai fini par trouver l’angle de mon récit et la voix romanesque de « ma » Louise Michel.

 

Vous n’avez pas écrit la « fin » de l’histoire de Louise Michel. Pourquoi ce choix ?

C. T. L’idée de la collection est d’accorder une grande importance à la jeunesse des personnalités – période souvent peu connue et pourtant passionnante. Si j’abordais dans mon roman la vie entière de Louise Michel, en restant fidèle à mon goût des détails, du quotidien, des dialogues et des anecdotes, le roman contiendrait 700 pages – à moins de sacrifier ce que j’aime dans les récits historiques. L’enjeu romanesque était donc d’écrire une fin ouverte, assez poétique et signifiante pour respecter le passé tout en esquissant l’avenir. La traversée de l’océan me semblait propice à évoquer d’une part le désespoir de Louise après le massacre de la Commune, d’autre part sa renaissance. Son voyage à bord du navire la menant vers l’exil en Nouvelle-Calédonie symbolise ainsi sa force mentale, sa capacité à rebondir, sa curiosité insatiable du monde, son courage et sa générosité.

 

En tant qu’historienne, est-ce difficile de « romancer » une vie ?

C. T. J’ai dû dépasser un sentiment d’imposture à l’égard de Louise Michel – et de Katherine Johnson pour le précédent roman. Il est difficile au départ de s’autoriser à enrober le réel d’imaginaire pour donner consistance au récit et corps au personnage. Cela implique d’assumer les mises en scène de dialogues, de réactions et d’émotions. Ma légitimité prend source dans mon enquête fouillée sur la période. Je m’en imprègne jusqu’à ce que le personnage surgisse de cette matière première, fondée sur mes recherches historiques. Pour me sentir juste dans mon récit, j’ai besoin de respecter la chronologie des faits, de leur donner une épaisseur et de les interpréter selon ma sensibilité pour incarner l’intimité de Louise. C’est un équilibre délicat à tisser entre ma subjectivité et celle de Louise Michel, envers laquelle j’ai foncièrement besoin de me sentir honnête.

 

Louise Michel est le deuxième personnage dont vous faites la biographie romancée dans la collection « Destins ». Comment est venue l’envie de retravailler avec votre éditrice ?

C. T. C’est toujours fructueux de retravailler avec une éditrice avec laquelle s’est tissé un lien de confiance. Nous pouvons discuter de mes choix narratifs, du rythme du récit, du style que je choisis. Karine Van Wormhoudt a une vision assez précise de ce qui peut fonctionner, notamment pour le lectorat adolescent. Notre collaboration est si agréable que je lui ai proposé de m’impliquer en tant que directrice de collection pour un recueil de nouvelles consacrées à des athlètes féminines ayant fait bouger les lignes du sport. Ce projet littéraire qui me tient à cœur réunit une magnifique brochette de plumes (Maïa Brami, Valentine Goby, Mathieu Palain, Sylvain Pattieu, Jennifer Richard, Caroline Solé, Jo Witek), dont je commence avec joie à découvrir les textes, plus bouleversants et merveilleux les uns que les autres.

 

À propos du livre

Louise Michel est une figure historique mal connue de tous. Nous connaissons vaguement son nom et sommes souvent incapables de situer la période à laquelle elle a vécu. Carole Trébor lui rend toute sa dignité et la place qu’elle occupe dans l’Histoire, notamment lors de la Commune de Paris, période trouble où les Français se sont affrontés dans les rues. Il y eut des centaines de morts dans les deux camps et ce sont les insurgés qui ont été écrasés. Louise en faisait partie. Elle a pris les armes pour renverser la République qu’elle jugeait injuste envers le peuple. Ce roman revient sur l’enfance de Louise, là où a poussé la graine de sa rébellion. Passionnant.

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