Nous retrouvons Gretel qui était un personnage secondaire de votre roman Le Garçon au pyjama rayé. Qu'est-ce qui vous a poussé à lui consacrer un roman tant d'années après ?
J. B. - J'ai commencé à écrire Le Garçon au pyjama rayé en 2004 et il a été publié en 2006. Au milieu de l'année 2005, alors que je travaillais sur le livre, m’est venue l'idée d'écrire un roman avec Gretel, la sœur de Bruno, comme personnage principal. Je pensais alors que ce serait le roman que je produirais à la fin de ma vie. Mais ensuite la pandémie est arrivée. J'étais confiné dans ma maison à Dublin après avoir terminé Le Syndrome du canal carpien et j'ai senti que le moment était venu. Je savais que Gretel, si elle avait existé, aurait eu 91 ans en 2022. Elle serait âgée mais pourrait être alerte, intelligente et en bonne santé. Placer l’intrigue de nos jours me permettait aussi de produire une œuvre très contemporaine.
Est-il nécessaire d'avoir lu Le Garçon au pyjama rayé avant de débuter celui-ci ?
J. B. - Non, je ne pense pas que ce soit complètement nécessaire. La Vie en fuite fonctionne comme un roman indépendant et il y a suffisamment d'indices dans l'histoire pour donner à un nouveau lecteur des informations sur ce qui est arrivé à Gretel quand elle était enfant. Cependant, lire d’abord Le Garçon au pyjama rayé pourrait s’avérer intéressant car il y a de nombreux liens subtils entre les deux livres, en termes de scènes, de dialogues ou de personnages secondaires.
Gretel, comme beaucoup de vos personnages, est une héroïne que nous avons autant de raisons de ne pas aimer que de désirs de la protéger : ces personnages complexes et ambivalents sont-ils la marque de fabrique de votre écriture ?
J. B. - Lorsque j'écris un roman, je cherche uniquement à créer des personnages authentiques. Dans la vie réelle, nous sommes tous capables d’extrême gentillesse comme de grande cruauté. Je ne pense pas que le travail de l'auteur soit d’orienter le lecteur vers un certain type de sentiment à l’égard d’un personnage mais plutôt de peupler ses livres avec des personnages qui laissent le lecteur réfléchir à leur sujet après coup, incertain de ce qu'il ressent à leur égard, conscient des ambiguïtés qui composent les personnages fictifs et réels. Pour moi, Gretel a des facettes à la fois sympathiques et antipathiques. D'un côté, elle est née à une époque, dans un lieu et dans une famille qu’elle n’a pas choisi et a été contrainte de voyager avec cette même famille jusqu'au camp décrit dans Le Garçon au pyjama rayé. Elle était trop jeune pour comprendre pleinement ce qui se passait de l'autre côté des grilles et n'y a participé d’aucune manière. Elle a perdu un frère et un père qu'elle aimait et a passé sa vie à accepter l’homme qu’était réellement son père et les crimes odieux qu'il a commis. Pour cela, elle mérite de la sympathie car elle n'en était pas responsable. D’un autre côté, elle a fait le choix après la guerre, quand elle était un peu plus âgée, de ne pas se présenter aux Alliés alors que les bribes d'information qu'elle aurait pu leur donner sur les camps aurait pu aider à reconstituer les derniers jours de tant de prisonniers juifs qui y ont été assassinés. Elle a fait ce choix pour des raisons purement égoïstes : parce qu'elle savait que se dénoncer signifierait passer sa vie à porter publiquement la honte. Elle aurait pu faire ce qui était juste, mais elle a choisi de ne pas le faire. De ce point de vue là, elle mérite d’être blâmée.
Vous êtes un observateur cynique de la société contemporaine et de ses excès. Avez-vous encore de l'espoir pour l'avenir de l'humanité ?
J. B. - Oui ! Bien que mes livres aient tendance à se concentrer sur certains des aspects les plus sombres de la nature humaine, je suis, par nature, une personne optimiste et positive. Je pense que la plupart des gens sont bons et essaient de faire de leur mieux dans le monde. Nous l'avons vu pendant la pandémie lorsque le monde entier s'est mobilisé pour faire ce qu'il fallait et essayer d'aider ceux qui tombaient malades.
En 1946, Gretel fuit la Pologne où son père dirigeait un camp de concentration nazi et se réfugie à Paris avec sa mère, sous une fausse identité. Près de quatre-vingts ans plus tard, Gretel est veuve et vit à Londres dans l’appartement familial qui vaut une fortune et que son fils aimerait vendre après avoir poussé sa mère à déménager dans une résidence pour seniors. Quand de nouveaux voisins s’installent avec leur fils de 9 ans dans l’appartement juste en dessous du sien et qu’elle comprend qu’il s’y passe des choses anormales, les fantômes de son passé la rattrapent et Gretel sera confrontée à un choix particulièrement difficile. Un magnifique roman sur le poids du passé et la possibilité de rédemption.