Littérature française

Marie Vingtras

Au cœur de l'Alaska

Entretien par Delphine Bouillo

(Librairie M'Lire, Laval)

Imaginez l'Alaska : une tempête de tous les diables vous plonge dans une mélasse de neige, de vent et de froid. Vous n'y voyez absolument rien et, pourtant, vous êtes au cœur de ce tumulte pour retrouver un enfant et une jeune femme. Le temps est compté mais vous pouvez vous appuyer sur l'aide des rares personnes qui habitent le coin. Vite, le compte à rebours a commencé !

Pouvez-vous nous parler de la construction de votre roman et des personnages ?

Marie Vingtras - C'est une construction classique de roman choral parce que j'aimais l'idée de changer de personnages assez rapidement, qu'on ne soit pas dans un long récit ou un long monologue. Bess, qui lâche la main de cet enfant en plein blizzard, n'a aucune raison d'être dehors et pourtant… Il y a Benedict, avec qui elle habite. On ne connaît pas les liens qui les unissent. Cole est un peu l'homme de main de Benedict. Ils se connaissent depuis qu'ils sont gamins. Et puis, il y a Freeman, vétéran du Vietnam et seul noir à la ronde. Ils se retrouvent tous les quatre à raconter, en alternance, quelque chose qui n'est pas seulement la quête d'un enfant mais quelque chose de plus profond.

 

Benedict me semble être le personnage central de ce roman. C'est l'enfant du pays qui a toujours vécu là.

M. V. - Benedict est l'ours, l'homme du pays, l'homme de l'Alaska qui déteste quitter son chez-soi. L'enfant et Bess vivent avec lui. Benedict sait qu'il n'y a aucune raison de sortir dehors par ce temps. Je ne voulais pas tisser les liens tout de suite. Lorsque l'on rencontre quelqu'un pour la première fois, on ne raconte pas tout de suite son histoire. On raconte ce que l'on veut bien transmettre à l'autre. C'est très parcellaire. Je ne voulais pas que cela soit évident, je voulais raconter leurs histoires par petites touches, jusqu'à un stade assez avancé du livre.

 

Votre écriture est également très cinématographique.

M. V. - Situer mes personnages en Alaska en plein blizzard, forcément il y a quelque chose de visuel. Même si paradoxalement, on ne voit rien au cœur de cette tempête (rires) ! Ils sont vraiment paumés. Mais c'est justement tout ce qu'on ne voit pas, tous ces moments d’automatisme qui permettent au cerveau de s'évader et alors on commence à penser. C'est une espèce de toile de fond un peu vierge qui va leur permettre à tous de dérouler le fil de leur vie, leurs secrets et tout ce qui est ambigu chez eux.

 

Cette tempête et cet environnement font partie intégrante de leurs histoires. Est-ce cela qui les a forgés ?

M. V. - Oui, cela a notamment beaucoup forgé Benedict et Cole. Cela forge aussi l'histoire car le blizzard bloque toute possibilité de partir, de s'échapper. Ils sont contraints par cet élément météorologique qui les empêche de quitter le danger. J'aime bien le terme de huis clos à ciel ouvert parce que ce sont vraiment quatre personnages dans cette espèce de tambouille de neige, de froid et de vent, confrontés à ce qu'ils sont. Ils n'ont pas la possibilité de faire autrement.

 

Cette tempête semble être la métaphore de ce que vivent les personnages plus intimement.

M. V. - Je pense que c'est vraiment Bess qui est dans un désordre émotionnel très fort, qui a l'histoire la plus tragique. Cette tempête est l'écho désordonné de son cœur. C'est elle qui a choisi de se mettre dans cette situation compliquée et c'est vraiment représentatif de Bess.

 

Freeman a également choisi de venir s'installer dans cet environnement hostile. Cet environnement est-il un refuge ou une punition ?

M. V. - Freeman est le personnage le plus incongru dans ce paysage. Mais c'est un homme droit qui poursuit un but. Il n'a rien à faire là et en même temps il l'est par devoir. Contrairement à Bess, il n'y a aucun désordre émotionnel chez lui

 

Pourquoi avoir choisi d'employer le « je » pour chaque personnage ?

M. V. - (Rires) Alors je ne sais pas trop puisque c'est mon premier roman ! Mais pour moi, cela m'a paru très facile de me mettre dans la peau des personnages. Par exemple, dans la peau de Cole qui parle très mal, puis dans celle de Freeman, qui a un langage plus élevé. C'est très agréable de passer d'un registre à un autre. Pour moi, c'était la porte d'entrée la plus simple pour l'écriture de ce livre. Je ne pourrais pas faire d'autofiction et utiliser le « je » pour parler de moi. Me glisser dans la peau d'un fils de bûcheron ou d'un vétéran du Vietnam est beaucoup plus ludique !

 

À propos du livre

Le blizzard s'est invité au cœur de l'ALaska, rendant toute sortie dangereuse. Il a fallu quelques secondes d'inattention pour que Bess lâche la main de l'enfant et le perde. Elle part donc à sa recherche suivie de près par Benedict et Cole. Une course contre la mort s'engage alors sous nos yeux et l'on découvre au fur et à mesure les destinées des personnages qui se dévoilent, laissant apparaître leurs tourments et secrets. Marie Vingtras fait une entrée fracassante en littérature avec ce premier roman. Elle choisit de nous plonger dans un environnement hostile pour faire ressortir toute la dramaturgie des protagonistes. Ce premier roman est un petit hommage à la littérature américaine et ses auteurs, tels que Ron Rash ou Larry Brown. Un pur régal !

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