Beaux livres

L’art fait le mur

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photo libraire

Par Claudine Courtais

Depuis la nuit des temps, l’homme a eu besoin de s’exprimer artistiquement, n’hésitant pas à prendre comme support les murs qui l’entouraient. Des fresques préhistoriques au Street art, les artistes ont utilisé des moyens protéiformes pour fixer leurs idées. Ravenne, New York, Paris, trois voyages artistiques à la découverte d’œuvres murales enthousiasmantes.

Quand on pense à Ravenne c’est la splendeur de ses mosaïques qui vient d’abord à l’esprit. Toute la richesse de l’art paléochrétien italien se déploie sur les murs intérieurs des sobres églises de cette petite ville d’Émilie-Romagne. Publié par l’Imprimerie Nationale, le nouveau livre d’Henri Stierlin vient célébrer la beauté et la richesse de ce lieu. Cet éminent historien de l’art et de l’architecture, spécialisé dans l’étude des origines chrétiennes, nous explique à travers cet ouvrage toute la modernité de l’art ravennate. À cette époque, aux ive et ve siècles, la polychromie de ces fresques, tour à tour figuratives et ornementales, étaient entièrement dédiées à la gloire du christianisme latin. Le propos de Stierlin est de montrer combien l’art de Ravenne a développé une identité forte et novatrice face à un monde byzantin, duquel l’autoproclamée « capitale de l’Empire romain d’Occident » souhaitait se détacher, les catholiques refusant l’autorité des empereurs orthodoxes grecs de Constantinople. Richement illustré par les photographies d’Adrien Buchet et Anne Stierlin, ce très bel ouvrage est l’occasion de découvrir ou d’approfondir une des pages les plus importantes de l’art occidental. Parfois faites de petites tesselles chatoyantes, les fresques new-yorkaises présentées dans l’ouvrage du muraliste Glenn Palmer-Smith sont surtout picturales et réalisées à partir du début du xxe siècle. Célébrant la grandeur de la ville ou racontant son histoire, on les retrouve dans les monuments les plus célèbres comme dans les lieux plus confidentiels. Parfois visibles par tous, d’autres fois installées dans des espaces privées, ces fresques sont l’œuvre de peintres venus du monde entier pour apposer sur les murs de la Grosse Pomme l’empreinte de leur art. Si chaque peinture raconte une histoire, elle est aussi l’histoire d’une rencontre entre un commanditaire, un architecte et un peintre. Glenn Palmer-Smith nous fait partager tout son savoir de peintre et de restaurateur à travers une trentaine de notices illustrées par les photographies de Joshua McHugh. On découvre des œuvres grandioses à l’histoire mouvementée, telles les peintures qui ornent le Rockefeller Center, initialement prévues pour être exécutées par Diego Riviera et qui, suite à une divergence radicale de point de vue avec Rockefeller, furent confiées au peintre José Maria Sert. D’autres sont plus confidentielles, à l’image des amusantes fresques faussement enfantines du bar Bemelmans de l’hôtel Carlyle, peintes par Ludwig Bemelmans, illustrateur de livres pour enfants, en échange de la jouissance, pendant un an et demi, de l’un des appartements du somptueux hôtel. Le livre se referme sur la grande fresque qui orne le Mark Morris Dance Center, exécutée par Barry McGee, un des pionniers de l’art de rue américain. Elle ouvre la porte à une nouvelle aire de forme artistique. C’est à Paris que l’on trouve une concrétisation de ces nouvelles expressions artistiques, à travers le projet Tour Paris 13, dont la parution d’un livre aux éditions Albin Michel marque l’ultime étape. L’événement Street art Tour Paris 13 a été mené par la galerie Itinerrance, sous la direction de Mehdi Ben Cheikh, avec le soutien de la Mairie du treizième arrondissement et l’accord du bailleur de l’immeuble. L’idée était de réunir une centaine d’artistes du Street art venus du monde entier et comptant parmi les meilleurs, pour une grande exposition collective et éphémère. C’est comme cela que, en 2013, 105 artistes de dix-huit nationalités sont venus investir une tour vouée à démolition devant la Seine. Pendant plusieurs mois, ils se sont appropriés ses 4500m2, jusque dans les moindres recoins, exprimant leurs talents d’artistes rodés à l’occupation des espaces en marge. Le 1er octobre de la même année, l’immeuble ouvrait ses portes au public pour un mois, accueillant près de 25 000 chanceux prêts à patienter pendant des heures pour découvrir le résultat de ce challenge hors normes. Parallèlement un site Internet présentant les œuvres à 3600 permettait aux autres de se faire une idée de cette exposition pas comme les autres. On peut aujourd’hui retrouver dans ce livre le travail de tous ces artistes. Classé par lieux, en commençant par les extérieurs – façades et préau –, puis en descendant les étages du neuvième aux caves, parcourant chaque appartement, on découvre à travers ce livre tout l’imaginaire talentueux de ces nouveaux artistes habitués à travailler en marge de la scène artistique traditionnelle. Ravenne, New York, Paris, trois lieux, trois époques, trois livres pour découvrir le talent de ces artistes qui ont tous utilisé les murs pour s’exprimer.