Bande dessinée

Benjamin Bachelier , Stéphane Melchior

Taïpi

illustration
photo libraire

Chronique de Morgane Kerlero Du Crano

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Benjamin Bachelier et Stéphane Melchior : un retour en force ! En 2013, ils avaient publié l’adaptation de Gatsby le magnifique (Gallimard), le fameux roman de Francis Scott Fitzgerald. Exit Jay Gatsby et ses fêtes somptueuses, les deux auteurs s’approprient cette fois un roman méconnu d’Herman Melville, Taïpi.

Si l’on pense immédiatement à Moby Dick quand on évoque Herman Melville, il serait dommage de passer à côté de ses autres écrits. Taïpi (Folio), son premier roman, est un récit autobiographique publié en 1846 aux États-Unis. Herman Melville y revient sur sa vie de marin et sur l’une des aventures qui l’ont jalonnée. Tom et Toby, deux marins qui travaillent sur le baleinier The Dolly, se lamentent. Cela fait des mois qu’ils sont en mer à la recherche de cachalots, mais la cale reste vide. Un fait divers ne les quitte pas, celui d’un bateau et de son équipage revenus dans un état lamentable, les mains vides, après six ans en mer. C’est décidé, dès qu’ils le peuvent, ils désertent, peu importe les risques ! Le bateau jette l’ancre peu après dans l’archipel des Marquises, au bord de l’île Nuku Hiva. Une rumeur court : les membres d’une tribu, appelée Taïpi, seraient cannibales et auraient déjà dégusté des marins. Tom et Toby font fi des rumeurs et quittent leur équipage à la première occasion. Ils s’aventurent dans une nature luxuriante et fort peu accueillante. La situation devient vite critique après que Tom se blesse gravement à la jambe et que les vivres commencent à manquer. Plus les deux hommes avancent, plus leur inquiétude grandit. Et s’ils tombaient sur les fameux cannibales… Embusqués dans la forêt, les Taïpis les capturent et les emmènent jusqu’à leur village. Incapable de comprendre cette peuplade, la paranoïa gagne Tom et Toby. C’est sûr, ils vont se faire dévorer par ces sauvages ! Pourtant, ce qu’ils découvrent est une réalité bien éloignée des fantasmes véhiculés par les Blancs. Accueillis avec hospitalité, ils sont hébergés, nourris et soignés. Ils restent malgré tout prisonniers puisqu’ils ne peuvent s’éloigner sans être accompagnés d’un membre de la communauté. Après la fuite de Toby, Tom reste seul et tente de s’intégrer. Stéphane Melchior réussit un tour de force en restituant le souffle de l’écriture d’Herman Melville. On est embarqué, vite, très vite, dès les premières lignes. Il fait le choix d’une langue contemporaine qui apporte une dimension moderne à un récit vieux de plus de 150 ans. Si cet album est si réussi, c’est que la puissance du texte se double d’un dessin maîtrisé, nerveux, tout en crayonnés. Les couleurs, véritables clés de voûte des illustrations, donnent un ton, un rythme à l’ouvrage. Elles restituent l’atmosphère de l’île. On a parfois l’impression de ressentir cette chaleur pesante propre au climat tropical, qui étouffe les deux héros. Taïpi, c’est l’histoire d’un homme catapulté malgré lui dans une société qui n’est pas la sienne. Un mode de vie différent, de nouveaux rapports humains, d’autres traditions… Sur cette île, l’étranger, le bizarre, le sauvage, c’est lui. C’est Tom. C’est Herman Melville.