Littérature étrangère

Stephen Markley

Le Déluge

ET

✒ Elsa Trobs

(Librairie scop Le Temps d'un livre, Pontarlier)

Cette rentrée littéraire voit le nouveau roman de Stephen Markley enrichir les rangs de l’excellente collection « Terres d’Amérique » des éditions Albin Michel, dirigée depuis ses débuts par le non moins excellent éditeur Francis Geffard. La virtuosité avec laquelle Stephen Markley nous invite à regarder les dégâts que nous avons causés est tellement fascinante qu’il est impossible de lâcher ce livre avant d’avoir lu jusqu’à ses derniers mots.

Nous avions été prévenus que le nouveau roman de Stephen Markley serait « prophétique, terrifiant, édifiant » : ce sont les mots lisibles sur le bandeau de l’édition française, écrits par un maître de la littérature américaine qui n’est autre que Stephen King. Le précédent roman de Stephen Markley, Ohio, avait déjà été remarqué et couronné du Grand prix de littérature américaine en 2020. Le Déluge a tout pour impressionner, à commencer par sa taille du fait de ses 1 039 pages traduites par Charles Recoursé qui n’a pas eu peur de s’y attaquer. Peut-être l’a-t-il fait comme on gravit une montagne ? Toujours est-il que c’est installé confortablement que nous avons attaqué ces quelque mille pages et c’est un roman-monde qui s’est ouvert devant nos yeux hallucinés. Stephen Markley convoque la fiction pour nous faire pénétrer dans le chaos des années à venir, que ce soit sur les plans sociétal, écologique ou politique, mettant en scène une myriade de personnages, figures symboliques des composants de la société américaine. Et il déroule ces vies sur fond de cataclysmes météorologiques ou encore économiques, sur près de trente ans, agrégeant ainsi autant d’univers différents qui ne formeront qu’une seule et gigantesque toile. Dans ce roman, nous avons envie de voir une dénonciation de la marche du monde, notamment quand Markley place certaines phrases dans la bouche de ses personnages. « Fanatismes religieux, factionnalisme ethnique et extrémisme politique finiront par engloutir la planète, et le pillage des ressources naturelles ne fera que s’accroître du fait des élites qui tenteront désespérément d’accumuler autant de capital que possible afin de se prémunir contre l’inévitable. » Ou encore : « Plusieurs années de pandémie de Covid-19, de déclin économique, de creusement des inégalités, de ploutocratie détournant ouvertement le bien commun, de flambée des addictions, d’épisodes météorologiques extrêmes et de désespérance psychologique ont, je le crains, préparé le corps politique à accepter les interventions les plus radicales ». Un plaidoyer donc d’une force intense sur le « sort de la planète […], le destin de notre espèce. On a entre les mains quelque chose de colossal, de sacré. Et on risque de le perdre avant même de comprendre pleinement à quel point c’est génial ». Cette œuvre mérite le temps que nous avons passé à la lire, à admirer secrètement son créateur et nous lui souhaitons de propager à sa suite ses constats pragmatiques propres à faire naître des actions salvatrices pour la planète.

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