Littérature française

Jean-Michel Guenassia

Le Club des incorrigibles optimistes

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photo libraire

Chronique de Véronique Marchand

Librairie Le Failler (Rennes)

De l’importance de la littérature et du cinéma dans le traitement des peines de cœur, avec en prime Joseph Kessel comme on ne vous l’a jamais raconté : lecteurs compulsifs ou épisodiques, vous trouverez votre bonheur dans ce livre qui sonne si vrai qu’on en oublie parfois que c’est un roman.

J’ai lu en deux jours les 750 pages du Club des incorrigibles optimistes , sans l’ombre d’un ennui. Un rythme impeccable, une construction parfaite, une lecture sans accrocs, une documentation sans failles, du rire, des larmes, les pages cornées pour se souvenir de telle phrase, les dialogues relus à voix haute… Quel formidable roman ! Est-ce vraiment un premier roman ? Très élaborée, la construction du roman l’est, car aux trajectoires des nombreux personnages s’adjoint le facteur temps sans que jamais le lecteur ne se sente égaré. « J’ai voulu aussi écrire des romans dans le roman et que toutes les histoires se rejoignent et se ramifient, deviennent une et indissociable. » En 1959, Michel Marini, pivot de ce récit, est un petit Parisien de 12 ans plus passionné par la lecture, la photographie et le baby-foot que par ses études. Son temps libre, il le passe principalement au Balto, troquet bon enfant tenu par d’authentiques Auvergnats à Denfert-Rochereau. Michel est un garçon curieux et si les parties de baby-foot ne souffrent aucun dilettantisme, cela ne l’empêche pas de prêter une oreille attentive aux discussions enflammées de ses aînés, jeunes gens fortement engagés politiquement, tels son frère Franck et son ami Pierre qui partiront pour la guerre en Algérie, déterminés à tout révolutionner, quitte pour cela à devancer l’appel. En attendant, de fortes amitiés se créent. Michel découvre le rock’n’roll, les dissensions politiques et littéraires et le Club des incorrigibles optimistes. C’est un club d’échecs dans l’arrière-salle du Balto où parfois Sartre et Kessel se joignent aux autres membres, tous réfugiés politiques. « Des Hongrois, des Polonais, des Roumains, des Allemands de l’Est, des Yougoslaves, des Tchécoslovaques, des Russes, pardon, des Soviétiques reprenaient certains. Il y avait aussi un Chinois et un Grec […] Ils n’avaient rien, ils n’étaient rien, ils étaient vivants […] Comme (me) le dit un jour Sacha : “ la différence entre nous et les autres, c’est qu’ils sont vivants et nous des survivants. Quand on a survécu, on n’a pas le droit de se plaindre de son sort, ce serait faire injure à ceux qui sont restés là-bas ” ». Diplomate, chirurgien, héros de la Révolution bolchevique, tous avaient quitté leur famille et leur pays dans des conditions souvent tragi-comiques. Mais de cela, ils ne parlaient jamais et il faudra du temps à Michel pour rassembler les pièces du puzzle de leurs vies. Certains avaient choisi la liberté au prix d’énormes sacrifices, d’autres avaient d’abord sauvé leur peau, aucun n’avaient imaginé que les lendemains seraient aussi douloureux. La réalité rattrapant la légende, ils étaient devenus chauffeur de taxi, gardien de nuit ou portier de cabaret. Ils taisaient leurs souffrances et trompaient leur profonde mélancolie par un humour ravageur.

Jusqu’en 1964, petits et grands événements ne laisseront aucun répit à ces destinées peu ordinaires, composant un livre si dense qu’il est impossible de le résumer sans un sentiment de frustration.

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