Littérature française

Dima Abdallah

D'une rive l'autre

✒ Dolly Choueiri

(Librairie Des gens qui lisent, Sartrouville)

Trois personnages liés par des fils invisibles, entre apprentissage, poids des origines et désirs d’émancipation. Ce très beau roman, porté par une écriture poétique et troublante, raconte les fantômes qui peuvent nous traverser, nous construire mais aussi nous détruire.

Au début du roman, un personnage énigmatique prend la parole. Au coin du feu, comme au début d’un conte qu’il s’apprête à nous lire, il convoque les silhouettes de trois enfants : Elias, Layla et lui. L’histoire commence comme un roman initiatique. Trois enfants, un peu cabossés, se lient d’amitié dans une ville abîmée de banlieue où ils tentent de conjurer leurs destins. Le narrateur est fou amoureux de Layla, depuis toujours, sans oser le lui dire. Il habite seul avec sa mère, dont la tristesse et la solitude l’oppressent. Elle vit dans le souvenir d’un pays qui n’est pas le sien mais celui de l’homme qui l’a quittée et pour lequel elle verse encore des larmes, treize ans plus tard. Ce pays, de l’autre côté de la Méditerranée et qui se relève tout juste de la guerre civile, c’est le Liban que le narrateur ne connaît pas mais qui ne cesse de l’attirer. Elias et le narrateur se ressemblent : ils ont tous les deux grandi dans l’absence de leur père et soignent leurs mauvaises graines intérieures à coups de danses et de musiques dans le secret de leur chambre. Elias rêve de devenir boulanger et de s’installer à Sète ; le narrateur voudrait enfin déclarer son amour à Layla et s’enfuir avec elle. Mais leurs démons les rattrapent et les entraînent dans d’autres directions, violentes et désespérées. Ça parle de fantômes et d’amour, de l’enfance qui se termine, d’amitié et de silences. Ça parle de ce qui nous possède et nous hante sans que l’on sache pourquoi. De ce qui n’est pas à nous et qui pourtant hurle au fond de nous. Ce n’est pas notre histoire jusqu’au moment où on comprend que si : la Méditerranée, les origines, les mots, leur beauté et leur puissance, le fil que l’on remonte pour comprendre ce qui ne s’explique pas, les pages que l’on écrit et les autres, qu’il faut tourner. Un roman d’une force et d’une poésie étourdissantes.

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