Bande dessinée

Yves Sente

Cinq branches de coton noir

illustration
photo libraire

Chronique de Ludovic Cadieu

Librairie Le Failler (Rennes)

« Je disais souvent à Justin et Tommy qu’ils étaient comme deux étoiles dans ma vie. Quand parfois j’étais découragée, je les regardais. Et je vous jure, Mrs Betsy que même noires, elles brillaient… » Cet écrit d’Angela Brown, tiré de son journal intime, évoque bien la ségrégation et le long combat pour l’abolir.

Yves Sente, scénariste entre autres de la mythique série Blake et Mortimer, et Steve Cuzor, dessinateur du talentueux O’Boys (Dargaud), font se croiser petite et grande Histoire dans un album qui met en avant la lutte des Afro-américains. Étalée sur presque deux siècles, celle-ci résonne toujours et reste malheureusement d’actualité. Cinq branches de coton noir commence par l’histoire de Mrs Betsy. Dépêchée par Georges Washington et les membres du Congrès pour réaliser et coudre les étoiles sur le premier modèle du drapeau américain pour la déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776, elle fait appel à sa domestique, Angela Brown, pour l’aider dans cette entreprise. Suite à un événement tragique, celle-ci décide d’adjoindre au premier drapeau un hommage révolutionnaire : coudre une étoile noire sous une étoile blanche. Par ce geste, elle veut symboliser la souffrance du peuple noir, son histoire tragique et lui rendre justice. Cet événement, relaté dans son journal intime, est découvert par Johanna en 1944 dans un vieux coffre de la maison de sa tante Camilia Brown. Celle-ci se rend compte de la portée de ce geste symbolique, acte unique dans le combat antiraciste et qui pourrait marquer profondément l’Histoire s’il était avéré. Après enquête, il apparaît que celui-ci serait aux mains des nazis dans la France occupée. Trois soldats noirs, dont le frère de Johanna, vont être missionnés pour retrouver ce drapeau. Incorporés au « Monuments Men », ils se sont portés volontaires car ils voient ainsi l’occasion de faire leurs preuves et de démontrer au président des États-Unis que les noirs valent autant que les blancs. En effet, les soldats afro-américains, durant le conflit, sont frappés de restrictions et simplement cantonnés à des rôles de soutien. Pour l’état-major, c’est une hérésie de les envoyer au front. Cet album expose, de façon percutante, le racisme latent au sein de l’armée américaine. En croisant deux époques différentes, les auteurs mettent en perspective les tensions et la ségrégation dont les noirs sont victimes. Il aura fallu attendre la fin de la guerre et la pénurie de soldats blancs pour que les soldats noirs soient intégrés aux troupes actives. Il aura fallu encore plus de temps pour que l’histoire de ces soldats et leur mémoire soient commémorées aux États-Unis. Comme l’annonçait le 28 août 1963 Martin Luther King dans « I have a dream », la lutte contre les inégalités entre les races a encore du chemin à faire, son rêve d’une Amérique fraternelle est encore loin d’être atteint. Une version en noir et blanc est proposée par Dupuis en tirage limité à 1 000 exemplaires. Celle-ci montre parfaitement le formidable travail du dessinateur, son univers riche et détaillé. Le scénario d’Yves Sente, en collaboration avec Steve Cuzor, propose un récit extrêmement crédible historiquement et diablement malin. Un titre à ne pas rater !