Essais

Ghislaine Dunant

Charlotte Delbo

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photo libraire

Chronique de Sébastien Gérard

Librairie Quai des mots (Épinal)

Auteure et dramaturge méconnue, Charlotte Delbo méritait bien cet essai à la fois biographique et littéraire, où Ghislaine Dunant a su trouver les mots et le souffle pour évoquer le destin de cette femme du XXe siècle.

Née en 1913, fille d’immigrés italiens, Charlotte Delbo, jeune femme autodidacte, commence à écrire dans les années 1930 pour une revue culturelle et militante. Elle est ensuite engagée comme secrétaire par Louis Jouvet, impressionné par sa capacité à rendre sa pensée par écrit. Militante communiste, elle s’engage dans la Résistance au côté de son mari. Arrêtée en mars 1943 et envoyée comme déportée politique à Auschwitz. Son convoi compte 230 femmes. Seules quarante-neuf reviendront. Cette expérience va marquer sa vie et son œuvre. À son retour, elle écrit Aucun de nous ne reviendra qui ne sera publié que vingt ans plus tard aux éditions de Minuit. Ghislaine Dunant a travaillé sept ans sur cette biographie, afin de « retrouver la vie » de Charlotte Delbo. On sent dans son texte son attachement pour son sujet. Elle s’interroge, hésite, avance des hypothèses, mais jamais elle ne pense à la place de Charlotte. Elle accorde une large place à ses écrits, ses essais, ses pièces, ses lettres, ses manuscrits jamais publiés. Elle les cite abondamment pour faire entendre cette voix singulière. On découvre ainsi l’œuvre forte, puissante, ciselée, d’une femme qui croit au pouvoir des mots et de la littérature. Nous voyons comment, auteure engagée, Charlotte Delbo mettra son talent au service des grandes causes de l’après-guerre, comme la démystification de la réalité du socialisme en U.RS.S., la torture durant la guerre d’Algérie, la dénonciation des premières théories révisionnistes... Elle aime aussi le champagne, les belles toilettes, les dîners entre amis dans sa petite maison. Ce livre est le trajet d’un relèvement après l’horreur. Dans la vie de celle qui, à Auschwitz, se récitait Le Misanthrope durant les appels sans fin, la littérature, le théâtre et ses personnages n’étaient pas de vaines réalités. Et c’est un très bel hommage que lui rend Ghislaine Dunant en nous la rendant si vivante.

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