Essais

Piotr M.A. Cywinski

Auschwitz

MR

✒ Mylène Rodriguez

(Librairie La Machine à lire, Bordeaux)

Quatre-vingts ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, nous pourrions penser tout savoir de l'horreur du génocide perpétré par les nazis. Mais Auschwitz, Une monographie de l'humain démontre que les recherches des historiens apportent encore de nouveaux éléments pour raconter et comprendre l'impensable.

Piotr M. A. Cywinski a travaillé pendant des années à vouloir relater le vécu des prisonniers du camp d’Auschwitz, le ressenti des survivants, pour esquisser une « histoire de personnes » et non une histoire de faits et dates. À partir de centaines de mémoires, témoignages, entretiens en différentes langues, il a comparé et assemblé ces expériences individuelles pour rendre compte d'une description générale précise, détaillée autour de trente-deux thèmes. Il développe ainsi ce qu'impliquait réellement « survivre à Auschwitz », en retraçant « les chemins spirituels, émotionnels et humains d'un million trois cent mille personnes. » Un travail aussi colossal qu'ardu car les mots ont pu manquer à celles et ceux qui en sont revenus pour décrire l'inimaginable et l’indicible. Ce livre relate donc les réalités de ce lieu hors du temps et de l'espace connus, « doté de sa propre vie » où il fallait « s'adapter à la mentalité du camp pour survivre ». La lecture en est évidemment saisissante, bouleversante mais il s'en dégage aussi une certaine lumière : celle du courage et de la transcendance qui ont traversé ces âmes, ces corps. L'omniprésence de l'humanité dans l'inhumanité, même lorsque l'instinct de survie modifie profondément les codes sociaux, les comportements. Constater que malgré tout, il reste quelque chose d'inatteignable qui peut se manifester par l'entraide, la transmission des savoirs, la capacité à rire encore parfois, autant d'attitudes que les nazis tentèrent d'exterminer sans y arriver totalement. La vie intérieure (pensées, rêves, foi...) des prisonniers, seul espace d'intimité encore possible, est aussi menacée. C’est certainement cette vie intérieure, forme de résistance à l’oppression, qui a permis à certains de trouver en eux les ressources vitales pour survivre et continuer d’essayer à vivre après ce traumatisme. La lecture de ce documentaire ne peut que raviver le plus grand respect pour ces hommes et femmes, survivants ou non. C'est un livre essentiel qu’il nous est ainsi donné à lire et à étudier. En ces temps troublés où les derniers témoins s'éteignent, il est plus que jamais vital et nécessaire de transmettre leur vécu afin d'éviter toute résurgence du passé.

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