Bande dessinée

Chabouté

Plus loin qu'ailleurs

✒ Blandine Delrot

(Librairie La Bouillotte, Saint-Jean-en-Royans)

Et si l'aventure, la vraie, se trouvait au coin de notre rue ? Chabouté nous emmène pour un voyage hors du commun et nous invite à poser un nouveau regard sur notre quotidien. Une vraie merveille qui nous encourage à prendre un peu de recul et à observer avec fantaisie et poésie ce qui nous entoure.

Il va être 6 h. Sourire aux lèvres presque imperceptible, Alexandre rentre de son travail et s'apprête à prendre ses premières vacances depuis une vingtaine d'années. Gardien de parking la nuit, il n'a jamais connu son quartier le jour, en voit d'ailleurs rarement la lumière. Ses seules interactions semblent se limiter à celles qu'il a avec son collègue, gardien de jour, qu'il ne fait que croiser. Alexandre a tout prévu : il a besoin de grands espaces et il part en Alaska grâce à une compagnie de voyages. Sur sa table de chevet s'empilent les guides du randonneur et les classiques du genre. Mais le bonheur est fugace car le jour du grand départ le destin en décide autrement : l'agence de voyages a fait faillite, le voyage est annulé et pour couronner le tout, Alexandre se retrouve avec la cheville immobilisée suite à une mauvaise chute dans l'escalator de l'aéroport. Contraint de rester, la mine déconfite, il choisit pourtant de contrecarrer le sort en s'installant dans l'hôtel en face de chez lui. Alexandre décide alors de suivre son manuel du randonneur à la lettre, avec un soupçon d'autodérision : l'attelle remplace les bonnes chaussures de randonnée, les béquilles remplacent les bâtons de marche qu'ils croquent dans un carnet de voyage qui commence avec cette pensée : « Partir en restant. » Dès lors, la magie opère et Alexandre transforme son désir d'ailleurs par la découverte de son quartier. Comme dans le reste de son œuvre, c'est d'abord la noirceur et la précision du trait de Chabouté qui nous frappent. Ses noirs intenses et ses jeux d'ombres et de lumières nous saisissent et soulignent l'expressivité des visages et des regards de ses personnages. Le récit est parsemé çà et là d'extraits du carnet d'Alexandre, parenthèses colorées à l'image du voyage presque immobile de notre aventurier, pour petit à petit redonner de la couleur à ce qui l'entoure. Comme à son habitude, l'illustrateur laisse des pages entières sans dialogues et c'est pour mieux saisir les instants d'observation et ces moments hors du temps que s'autorise son héros. Avec Plus loin qu'ailleurs, proche de ses précédents titres, Fables amères et Un peu de bois et d'acier, Chabouté nous offre son regard poétique de fin observateur du quotidien et décèle l'extraordinaire dans l'ordinaire. Il semble nous souffler de nous arrêter un instant et de prendre le temps de regarder, enfin et véritablement, les lieux et visages qu'on croise chaque jour en pensant les connaître. Chiche ?

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