Littérature française
François-Henri Désérable
Chagrin d'un chant inachevé

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François-Henri Désérable
Chagrin d'un chant inachevé
Gallimard
08/05/2025
196 pages, 20 €
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Chronique de
Deborah Vedel
Librairie Les Temps modernes (Orléans) - ❤ Lu et conseillé par 18 libraire(s)

✒ Deborah Vedel
(Librairie Les Temps modernes, Orléans)
Le 29 décembre 1951, le jeune Ernesto Guevara ‒ pas encore devenu le Che ‒ et son meilleur ami, Alberto Granado, débutent leur Voyage à motocyclette à travers l'Amérique latine ‒ sept mois et 8 000 kilomètres de route. Soixante-cinq ans plus tard, François-Henri Désérable suit leurs pas pour un voyage initiatique.
François-Henri Désérable propose ici son deuxième récit de voyage après L'Usure d'un monde qui décrit un voyage pourtant antérieur à sa traversée de l'Iran. Fasciné depuis toujours par les cartes du monde et les noms de villes exotiques, ainsi que par les mythiques écrivains voyageurs ‒ Bouvier, David-Néel, Maillart, Stendhal ‒, il suit l'appel du large, direction l'Amérique du Sud. Il s'impose néanmoins une contrainte, suivre l'itinéraire de Guevara et Granado, décrit dans Voyage à motocyclette. N'y voyons cependant pas un hommage politique au héros de la révolution cubaine : en 1951, Ernesto Guevara n'est encore qu'un jeune homme ivre de liberté, pas encore animé par l'idéal révolutionnaire que nous lui connaissons. Ce voyage, débuté sous les meilleurs auspices avec une erreur de trajet et un retard considérable à l'aéroport, devient sous la plume de l'auteur un récit à rebondissements, entre moments de pure beauté, rencontres avec une galerie de personnages hauts en couleur et bourdes réjouissantes car « les désagréments du voyage sont déplaisants au voyageur mais profitables à l'écrivain ». À chaque étape, les parallèles avec le périple de Guevara foisonnent et nous font connaître plus précisément sa vie. Pourquoi et comment voyager ? La question habite tout le texte mais la réponse n'est pas définitive. Il s'agit moins de voyager pour se trouver, pour chercher l'illumination sous d'autres cieux mais bien pour s'interroger, « aiguiser [s]on regard que chaque jour au même endroit achèverait d'émousser ». Par ailleurs, le monde est si vaste et le temps si compté : ici intervient le titre du livre, Chagrin d'un chant inachevé, tiré d'un vers du poète turc Nâzim Hikmet cité par Guevara. Pour François-Henri Désérable, ce chagrin est le fardeau de tout voyageur, ressenti au moment de s'arracher à la contemplation d'un endroit que l'on ne reverra jamais. Comment imaginer revenir au même endroit quand tant d'autres merveilles restent à découvrir, même s'il s'agit du plus bel endroit au monde, comme l'Isla del sol sur le lac Titicaca ? Écrit dans la pure tradition du récit de voyage, ce livre réussit néanmoins à dépoussiérer le genre grâce à un enthousiasme communicatif ‒ comme en voyage, jamais on ne s'ennuie ‒ et une écriture virevoltante. L'envie de chausser ses baskets et d'aller voir soi-même tous ces lieux est à son comble quand on relit avec émotion les mots de Jack London, placés en épigraphe du récit : « Pourquoi ne pas partir tout de suite ? ».