Essais

Michael R. Marrus , Robert O. Paxton

Vichy et les juifs

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photo libraire

Chronique de Rodolphe Gillard

Librairie des Halles (Niort)

Deux ouvrages mettent en lumière le rôle de l’antisémitisme durant les années 1930 et pendant la guerre : l’un prend un cas particulier, celui d’un jeune homme à la trajectoire digne d’un roman ; l’autre, réédition d’un des plus grands livres sur la guerre, dévoile les rouages d’un antisémitisme d’État, celui du régime de Vichy.

Le 7 novembre 1938, Herschel Grynszpan, Juif allemand d’origine polonaise, âgé de 17 ans, assassina le diplomate allemand Ernst vom Rath à l’ambassade d’Allemagne, à Paris. Il entendait par ce geste attirer l’attention de l’opinion publique sur le sort des Juifs allemands brutalement expulsés en Pologne le mois précédent. Cependant, rien ne fonctionna comme il l’entendait : mais qui aurait pu prévoir que ces coups de feu, rue de Lille, allaient être l’un des éléments déclencheurs de la guerre ? Le jeune homme se fit arrêter, ainsi que ses oncle et tante, accusés d’héberger un clandestin sans papiers. En Allemagne, la mort du diplomate provoqua un déchaînement meurtrier contre les Juifs, puisque durant la nuit du 10 au 11 novembre, quatre-vingt-onze Juifs furent tués, 267 synagogues brûlées et 7 500 boutiques saccagées. Les bris de verres donnèrent à ce pogrom son nom de Nuit de cristal. Tels sont les faits, mais c’est tout l’arrière-fond que dévoile Corinne Chaponnière dans Les Quatre Coups de la Nuit de cristal, qui montre un Grynszpan au centre d’un jeu géopolitique le dépassant largement. Le rôle de Goebbels a été déterminant pour chauffer les esprits en Allemagne, et faire de Grynszpan le symbole de la juiverie mondiale meurtrière et nuisible. Aussi bien envisageable est la thèse du coup monté, dans lequel ce dernier aurait été manipulé par les espions nazis qui hantaient les rues de Paris à l’époque. Le crime sexuel est également fort probable, qui expliquerait l’ajournement du procès de Grynszpan. Selon l’auteure, la découverte de l’homosexualité de vom Rath était intolérable aux yeux des nazis et ne pouvait donc être rendue publique lors d’un procès. La nouvelle édition du maître-livre de Robert Paxton et Michaël Marrus, Vichy et les Juifs, replace cet épisode dans le contexte plus large de l’antisémitisme des années 1930. Mais on peut le voir aussi comme le catalyseur du long train de mesures antijuives adoptées en France par la suite, qui font tout l’objet de cet ouvrage. La première édition du livre remonte à 1981, date à laquelle toutes les archives actuellement disponibles ne l’étaient pas. Justement, les auteurs ont complété l’ouvrage de précisions concernant l’exclusion des Juifs de la fonction publique et des professions culturelles ; l’application de quotas aux professions libérales ; les réactions de l’Église ; et les interactions entre les Allemands et Vichy. Impossible ici de rendre justice à un ouvrage d’une telle richesse et d’une telle finesse. Loin de nous le temps où Paxton avait choqué l’opinion en faisant toute la lumière sur la collaboration. C’était en 1973 avec La France de Vichy. Plus de quarante ans plus tard, le tableau de tant d’insensibilité et d’indifférence au malheur d’autrui, tant dans l’administration que dans la population, est toujours aussi bouleversant.