Essais

Barbara Polla

Tout à fait femme

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photo libraire

Chronique de Valérie Wosinski

Pigiste ()

Goethe conclut son Faust II sur les 
mots du chœur mystique : « Et l’Éternel 
féminin/Toujours plus haut nous attire ». Cet idéal de pureté qui pousse l’homme vers la transcendance, 
idéal parfaitement romantique, semble en passe d’être remplacé par une 
nouvelle vision de la féminité : multiple, évolutive, égalitaire. Enfin.


Il a pu sembler qu’avec le renouveau du (des) mouvement(s) féministe(s) à partir des années 1960 et les avancées auxquelles il a conduit, l’égalité entre hommes et femmes était sur la bonne voie. Mais parallèlement aux formes de soumissions traditionnelles se sont développés des outils de domination plus sournois et cependant tout aussi puissants. C’est ainsi qu’aujourd’hui se met en place une image de la féminité exclusivement conçue comme reflet du désir masculin, question qui est au cœur du nouveau livre de Maryse Vaillant. Sexy soit-elle, telle est l’injonction désormais faite aux femmes. Paraître jeune à tout prix, répondre à des critères physiques invariables, porter le même uniforme (talons hauts, décolleté)… bref il s’agit de se fondre dans un modèle universel et uniforme, qui représente l’ultime instrument de l’oppression. Revenant sur son parcours de femme, ses choix, ses engagements, Maryse Vaillant rappelle la lutte longue et difficile que les femmes ont dû mener (qu’il faut souvent encore mener) pour accéder à la liberté sexuelle, laquelle ne peut se concevoir que par la mise à distance de la nécessité procréatrice. La femme peut exister sans être mère. Or on assiste désormais à cet étrange retour en arrière consistant à réduire la femme à être sexy et/ou (les deux à la fois pour les plus méritantes) mère. Hors de ce binôme, point de salut. Le pire, c’est que les derniers avatars de la phallocratie émergent avec la complicité des femmes elles-mêmes. « Le terme " féminité " ne concerne plus l’être féminin mais sa capacité à faire bander les hommes ». Triste constat. On est loin de la formule de Marguerite Yourcenar, selon laquelle « Rien n’est plus secret qu’une existence féminine ». Que les mères, plutôt que de vouloir rester jeunes à tout prix, apprennent donc à leurs filles à refuser les diktats consuméristes, voilà le combat qu’il convient désormais d’engager ! Partant d’un constat assez similaire, Barbara Polla précise que ce n’est pas le fait d’être désirées qui déplaît aux femmes, mais bien d’être objets de désir. L’important, c’est d’être sujet de désir, ce qui implique de conquérir ou de sauvegarder son autonomie (notamment financière), seul moyen de garantir une égalité réelle entre hommes et femmes. Cela implique également de refuser ce que Barbara Polla appelle le GPS, le Grand Plan Social qui, sous couvert de préservation de l’espèce (et en s’appuyant sur de prétendus déterminismes naturels), s’impose au détriment de la liberté individuelle. Liberté des femmes ET liberté des hommes, redéfinies dans un nouveau partage des tâches. Car les femmes doivent également encourager ce partage. Pas une délégation, mais une acceptation de la façon masculine de faire, notamment avec les enfants qui, rappelons-le, se font à deux. Et à la jolie question de l’enfant : « Où étais-je avant ? » Barbara Polla hésite à peine à répondre : « Dans les testicules de ton père ». Ce qui est l’exacte vérité et permet de rappeler que le père, avant la mère, est « le réceptacle de la vie future ».


Autre partage entre les deux sexes, plus rarement avancé encore, celui de la violence. À l’image archétypale de la femme douce et pacifique, se substitue celle d’un être également happé par le désir, la passion, l’étreinte des corps. Une violence mutuellement consentie, celle du couple dans l’amour, et dont on peut se demander laquelle, de la pénétration ou de l’absorption, est la plus forte. 


Cette violence féminine se décline d’ailleurs de bien des façons, comme le montre l’enquête de Moïra Sauvage. Rappeuse, boxeuse, policière, pilote de chasse, les femmes assument de plus en plus le recours à la force. Plus encore, et c’est là une véritable mutation anthropologique, armer des femmes est un phénomène en plein développement à travers le monde. Certes, il y eut les Amazones, Jeanne d’Arc, les Walkyries… Pourtant, la violence féminine a toujours suscité un certain malaise et, plus récemment, les femmes tortionnaires des camps de concentration, ou encore les femmes génocidaires au Rwanda ont pu apparaître plus monstrueuses que leurs semblables masculins tant elles contrastent avec l’image traditionnelle de la féminité. Et si aujourd’hui les femmes représentent 15 % de l’effectif de l’armée française, 19 % de celui de la police (40 % au Sri Lanka ou en Colombie), c’est bien que l’égalité hommes/femmes progresse et que la violence, elle, n’a pas de sexe.


Certaines vont jusqu’à remettre en cause la notion même de femme. Judith Butler, figure de proue de la queer theory, avance que l’identité ne tient pas au sexe mais à la sexualité. D’où sa formule : « Les lesbiennes ne sont pas des femmes ». À contre-courant de cette conception, Sylviane Agacinski s’attache à démontrer que « le sexe ne détermine pas la sexualité, mais que la sexualité n’abolit pas le sexe ». La problématique vient de l’introduction de la notion de genre, selon laquelle le sexe n’est pas une donnée naturelle mais culturelle, sociologique, politique. Le genre est l’une des expressions des rapports sociaux. Mais en contestant l’altérité sexuelle et l’existence des femmes comme catégorie réelle, la pensée queer en vient à encourager les dérives biotechnologiques de la reproduction externalisée. Ce faisant, elle feint de ne pas voir à quel nouveau type d’esclavage les femmes (et parmi elles les plus pauvres) sont exposées : le commerce de leur corps et de leurs organes. 


On le voit : si certaines libertés ont été conquises par les femmes, d’autres combats restent à mener. Et les hommes de bonne volonté sont les bienvenus.