Polar

Doa

Pukhtu Secundo

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photo libraire

Chronique de Jérôme Cuvelier

Librairie La Manœuvre (Paris)

Avec Pukhtu Primo paru en 2015 (Gallimard, « Série noire »), DOA nous avait enchaînés à 700 pages d’un grand roman noir. Pukhtu Secundo, dernier volet de cette fresque guerrière, est une enquête à couper le souffle. Précis, efficace, parfois explosif, de Kaboul à Paris, DOA explore les arcanes du bourbier afghan.

Pukhtu se déroule en 2008, et son intrigue se situe principalement à la frontière entre l’Afghanistan et les zones tribales du Pakistan. Pukhtu primo posait les jalons d’une « scène de crime » d’un roman policier hors normes, à travers le destin d’un chef de clan Pachtoune, l’enquête d’un journaliste sur la disparition de fûts d’héroïne et les agissements d’une bande de six barbouzes, combattants high-tech blindés à la testostérone en opération dans « le bourbier afghan ». Ce deuxième opus poursuit magistralement cette grande fresque guerrière et l’on n’est pas au bout de nos surprises, quand, sous les traits de « Roni », on découvre un personnage que l’on pensait depuis longtemps disparu (voir Le Serpent aux milles coupures, Folio policier). Dans ce roman, les enjeux sont complexes, religieux, politiques et financiers. On survole la planète à bord d’avions-cargos, d’hélicoptères, drones, drogues et rock’n’roll. Entre Apocalypse now et Lord of war, DOA explose les standards du polar et nous subjugue une fois de plus avec son arme favorite, son écriture si singulière.

 

PAGE — Je voudrais vous interroger sur ce projet très ambitieux de roman policier – volumineux –, qu’on pourrait taxer de roman de guerre. Et pourquoi ces deux tomes ?
DOA — Je n’aime pas le mot ambitieux. Je ne réfléchis pas, lorsque je pense à mes récits, en termes d’ambition, plutôt de tentative. Par ailleurs, je ne sais pas à quelle catégorie de texte appartient Pukhtu et je ne suis pas certain qu’il faille à tout prix le classer dans une catégorie. Là encore, je ne raisonne pas comme ça. Le livre, dans un contexte contemporain, aborde différents thèmes, le terrorisme, l’Afghanistan, le trafic d’héroïne, la privatisation de la chose militaire et de la sécurité, la géopolitique, le journalisme, les dessous de la République, mais aussi l’amour, celui des parents, celui des amants, l’honneur, la vengeance, la peur, la perte et la douleur de la perte, tous complexes. Pour ce faire, il met en scène de vrais personnages de roman, avec leurs existences propres, leurs circonstances particulières et, afin de rendre un minimum justice à tous ces éléments constitutifs, sans simplification ni facilité – je sais, c’est mal – il faut de la place, prendre le temps des pages. Par conséquent, si à l’origine Pukhtu ne devait être qu’un seul (gros) bouquin – il a été conçu, organisé ainsi –, j’ai fini par me résoudre, d’un commun accord avec mon éditeur, à le couper en deux.

P. — Tout cela est extrêmement documenté. Quelles ont étés vos sources, vos recherches ? Votre projet était à ce point d’écrire un roman si réaliste ?
DOA — Ah ! La documentation, n’y a-t-il que cela à retenir du roman ? Pour filer la métaphore picturale, le réel est pour moi ce que le bleu était pour le peintre Yves Klein, une matière à façonner pour créer une œuvre. Et, dans le but d’obtenir un rendu proche du réel, une certaine connaissance des sujets abordés est nécessaire, donc il faut se documenter. Mais cela ne représente qu’une fraction du travail, la plus facile. Apprendre des choses, c’est avant tout une question de temps et d’énergie, et cela reste à la portée de tous. La vraie difficulté, ce moment où la patte du romancier doit se manifester, arrive après, avec plus ou moins de bonheur.

P. — Si Pukhtu Primo est essentiellement un roman de guerre, avec un lieu, l’Afghanistan, on passe dans le deuxième opus d’une frontière à l’autre, d’un pays à l’autre. Est-ce pour nous permettre d’intégrer et de comprendre la mondialisation profonde de ce conflit ?
DOA — Précisons d’emblée que Pukhtu peut être lu sans connaissance préalable des textes qui l’ont précédé. Il demeure qu’il a été pensé comme la suite et la conclusion d’un cycle. Son projet premier est là. Toute sa construction, sa folle équipée, sont au service de ce grand arc romanesque. N’écrivant pas de récits à thèse ou à message, je me contente d’asservir le réel à la fiction, rien d’autre. Dès lors, si des frontières sont franchies, si la guerre – prise au sens très large : conflit des hommes entre eux et des hommes avec eux-mêmes, chaque protagoniste étant confronté à ses démons, ses limites, ses angoisses, ses passions – est mise en scène, c’est d’abord pour réunir, dans une même histoire, des personnages que leur parcours littéraire avait séparés jusque-là.

P. — À propos des personnages, tous aussi truculents les uns que les autres, on a la surprise de voir resurgir un protagoniste que l’on pensait disparu dans Le Serpent aux mille coupures. Pourriez-vous nous en dire plus ?
DOA — Sa qualité de conclusion obligeait Pukhtu à convoquer les principaux personnages de Citoyens clandestins et du Serpent aux mille coupures (Folio policier). Tous. Ainsi, chacun d’eux est présent et ce dès la première moitié du récit, Primo, même si certains s’y font plus furtifs que d’autres. Mais on ne peut pas éternellement vivre caché, heureux et échapper à son destin, n’est-ce pas ?

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