Bande dessinée

A. Dan , Serge Scotto , Éric Stoffel , Magali Paillat

Merlusse

illustration
photo libraire

Chronique de Edouard Chevais-Deighton

Librairie Charlemagne (Toulon)

Différents dans leur forme autant que dans leur traitement graphique, deux albums inaugurent ces jours-ci une nouvelle collection consacrée à l’adaptation en BD de l’œuvre de Marcel Pagnol. L’une et l’autre sont une grande réussite.

Adapter en BD l’œuvre de Pagnol… L’idée était légitime tant, de l’aveu même de celui qui fut l’un des plus grands écrivains populaires français, « les mots qui ont un son noble contiennent toujours de belles images ». Mais comme souvent dans ces cas-là, ce sont les rencontres qui, au fil du temps, permettent la concrétisation d’idées. Nous devons ces adaptations à Nicolas Pagnol, petit-fils de l’auteur, et à l’écrivain Serge Scotto, qui, avec son complice Éric Stoffel, ont été les scénaristes « gardiens du temple ». À l’équipe de la collection « Grand Angle » des éditions Bamboo également, qui en ont assuré la partie éditoriale avec le dynamisme et l’humanité qu’on leur connaît dans le monde de la BD. Si le choix d’adapter dans un premier temps La Gloire de mon père, l’une des œuvres majeures de l’auteur, paraissait logique, il n’en demeurait pas moins risqué. Car, au-delà de la beauté sauvage de cet arrière-pays marseillais, de sa luminosité et de sa chaleur parfois écrasante, c’est avant tout la poésie, la tendresse et l’humour qui se dégagent de cette histoire, qu’il convenait de restituer au sein de l’album. Pari réussi ! Morgann Tanco s’est attelé à la tâche avec beaucoup de réussite, croquant le souvenir d’un déjeuner à l’ombre d’un grand chêne et de magnifiques randonnées dans la montagne, au gré d’une mise en scène savoureuse des dialogues de Pagnol. Tout juste si vous n’entendrez pas le son des cigales en parcourant cet album dont il existe par ailleurs une version luxe grand format. Le deuxième titre choisi s’avère plus surprenant. Tiré d’un film tourné par Marcel Pagnol en 1935, il nous fait franchir les murs d’un internat de Marseille un soir de Noël. Alors que les noms des chanceux que l’on vient chercher sont annoncés par le concierge, les oubliés tentent, tant bien que mal, de se préparer à cette nuit qu’ils passeront entre les murs froids de la cantine puis au dortoir. Parmi eux, Villepontoux reste persuadé que l’on viendra le chercher au dernier moment, de même que « Macaque » qui se revendique fils de roi mais que personne ne croit. Et puis il y a « Merlusse », ce surveillant marqué dans sa chair par la guerre au Tonkin et dont élèves comme professeurs redoutent le caractère peu amène. Mais c’est souvent dans les situations exceptionnelles que les vraies personnalités se révèlent… Il est regrettable que cette histoire soit si méconnue, tant elle incarne ce qui faisait la force poétique de l’œuvre de Pagnol. A. Dan, le dessinateur, parvient, grâce à son trait sombre et parfois torturé, à nous en restituer la profonde humanité, intégrant au passage Marseille comme personnage à part entière de ce qui s’avère être avant tout un très beau conte de Noël. Un ouvrage de circonstance. Surtout, un album à ne pas manquer !