Polar

Donna Leon

Gondoles

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photo libraire

Chronique de Florence Raut-Trouillard

Librairie La Libreria (Paris)

Donna Leon est vénitienne. Qu’on se le tienne pour dit ! Pas de naissance, certes, mais à travers ses livres, à travers la musique qu’elle a choisi de soutenir, elle a incontestablement gagné ses galons de vénitienne de droit. Nous sommes allés à sa rencontre, sur ses terres, à son rythme, plein d’entrain et de joie d’exister : on ne pouvait rêver meilleure guide !

Donna Leon n’attendait ni ne cherchait le succès : cette Américaine au pragmatisme anglo-saxon teinté d’un bel enthousiasme pour les choses de la vie, a une fantaisie rieuse qui fait plaisir à voir. Difficile de résister à son énergie communicative : de sottoporteghi en fondamente, infatigable, elle nous a fait les honneurs de sa Venise. Une Venise hivernale, pas encore envahie des créatures colorées du Carnaval, nimbée de brouillard et de silence : quoi de plus fascinant et propice au crime ? Et pourtant, Donna Leon n’a rien d’un écrivain tourmenté. Elle se rit des flics désabusés et alcooliques, et nous a imposé en douceur son Brunetti, fin, intelligent, bon mari et bon père : un oiseau rare en somme. Elle a enseigné la littérature anglaise un peu partout dans le monde et a posé ses valises à Venise il y a trente ans. Ce sont de belles rencontres humaines qui déterminent sa décision. Sa famille d’élection est ici et c’est désormais le seul endroit qu’elle connaisse suffisamment pour pouvoir, sincèrement et authentiquement, tisser ses histoires. Impossible de flâner avec Donna Leon dans Venise sans croiser amis, relations. Un arrêt pour aiguiser notre appétit devant les riches étals du Rialto, un autre pour savourer quelques cicheti dans une vieille osteria de San Polo et un dernier dans le magnifique atelier de fabrication de gondoles Tramontin dans Dorsoduro. Enfin, point d’orgue (de quoi faire quelques envieux !), halte déjeuner chez Roberta Pianaro : sincérité et bonté de la cuisine, de quoi réchauffer les corps et les cœurs. On sent néanmoins, malgré cette familiarité avec les lieux et les gens, malgré cette connaissance profonde et respectueuse de la ville, qu’elle garde une réserve, son jardin secret. Et cela explique sans aucun doute sa farouche résistance à la traduction de ses romans en italien. Elle le dit avec grande simplicité : « la célébrité n’a jamais rendu personne meilleur. » Mais l’Italie reste un pays de rêve pour un auteur de polars. La lecture de n’importe quel quotidien, de La Repubblica au Gazzettino, pages politiques comme faits divers, offre une multitude d’intrigues possibles. Combien d’affaires incroyables ont fait la une, déchaîné les passions, les hypothèses les plus folles pendant des mois, pour finir par rejoindre la cohorte des cas non élucidés. Un vivier incroyable, affirme-t-elle. Sans compter les rumeurs que les Vénitiens colportent au coin d’un comptoir en buvant un ombra. Donna Leon ne s’en cache pas, elle regarde et écoute beaucoup ses contemporains. Ce nouvel opus des enquêtes de Brunetti, Deux Veuves pour un testament, ne déroge pas à la règle : une histoire, maintes fois entendue par elle, de collection de dessins disparue, l’image d’une vieille dame solitaire morte dans son appartement. Il ne lui en faut pas davantage pour distraire son lecteur, l’émouvoir aussi, en tous cas le piéger dès le premier chapitre. Dans cette affaire où rien n’est comme il paraît, elle nous balade littéralement. Mais cet art consommé du polar et le succès mérité qui l’accompagne, lui permettent la petite folie qui fait sa vraie joie : la formation et le soutien sans faille à l’ensemble baroque Il Pomo d’Oro. Le livre avec CD Gondoles, qui est sorti chez Calmann-Lévy, est un pur bonheur, loin de l’image d’Épinal de l’embarcation symbole de Venise. Chansons (dont un inédit exquis par Cecilia Bartoli), histoires et détails de peinture… il y a encore une multitude de choses à découvrir sur Venise.

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