Littérature étrangère

Ken Kesey

Et quelquefois j’ai comme une grande idée

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photo libraire

Chronique de François-Xavier Schmit

Librairie L'autre rive (Toulouse)

La carrière littéraire de Ken Kesey, auteur de Vol au-dessus d’un nid de coucou, a pâti de l’écrasante notoriété de ce roman devenu film culte. De nombreux pans de son œuvre méritent eux aussi la lumière, comme ce magistral Et quelquefois j’ai comme une grande idée paru en 1964.

Ken Kesey, icône de la contre-culture des années 1960, était un personnage hors normes. Après avoir fait fortune avec un premier livre tiré de ses expériences personnelles de cobaye dans un laboratoire dédié à l’étude des psychotropes, il part à la découverte d’une Amérique en pleine mutation avec le poète et écrivain de la Beat Generation Neal Cassady et un jeune écrivain en herbe, Tom Wolfe. Quelques années plus tard, il publie ce magnifique Et quelquefois j’ai comme une grande idée, immense roman dont l’action prend pour cadre l’immédiat après-guerre et un camp de bûcherons de l’Oregon. Dans ce décor proche du Canada, rude, humide, où la nature domine, les membres de la famille Stamper affrontent les autorités municipales et un puissant syndicat sur fond de terres et d’exploitation forestière. Mais les conflits parasitent également les relations familiales. Hank, massif, physique, grande gueule habituée à régner sur son royaume d’une main de fer héritée du patriarche, Henry, bûcheron à l’ancienne qui ne s’entend pas du tout avec son frère Leland, universitaire éclairé et fumeur de haschich malingre, qui revient après dix ans loin de ses territoires originels. Il refuse de se conformer au diktat familial, à cette masculinité fruste aux antipodes de ses valeurs. Le conflit est inévitable. Cette famille restée figée dans le passé et repliée sur elle-même est disséquée avec brio par l’auteur, qui ausculte le sens du respect, de la fidélité, mais aussi les sentiments plus sombres de la vengeance. Kesey écrit la fable de l’homme contre la nature, de la communauté contre le capitalisme. On frôle parfois le Nature Writing, ce genre romanesque magnifiant les paysages, les odeurs, les bruits, les cris des sous-bois. Mais Et quelquefois j’ai comme une grande idée évoque aussi Faulkner, ou même Capote pour sa forme journalistique. C’est un très grand livre, une nouvelle pépite des éditions Monsieur Toussaint Louverture.