Aidan Waits est un jeune inspecteur torturé, accro aux amphétamines et quasi alcoolique. Il est en chute libre après avoir été rétrogradé, jusqu’à ce que son chef lui demande d’infiltrer le réseau de drogue de Zain Carver, le plus gros fournisseur de Manchester. Il se sert de jeunes filles, ses « sirènes », pour récupérer l’argent de la drogue. Or, l’une d’elles se trouve être la fille d’un homme politique influent. Aidan est chargé de la ramener chez son père. Trois mondes vont alors se télescoper violemment. Nous naviguons entre la haute bourgeoisie mancunienne et les bas-fonds de la ville, plongeons dans les pubs et squats de junkies, pour finir dans des villas et appartements luxueux. Ultra-réaliste, ce roman noir urbain nous dévoile les facettes les plus sombres de la ville. Il brouille les pistes en jouant sur les faux-semblants, chaque personnage ayant sa part d’ombre. Joseph Knox nous fait découvrir Manchester by night, peuplée de personnages cabossés au passé douloureux, dévastés par les drogues et l’alcool.
PAGE — Vous avez été barman, libraire puis acheteur pour Waterstones. Comment en êtes-vous venu à l’écriture ? Quelles ont été vos principales inspirations ?
Joseph Knox — D’une certaine manière, j’ai toujours écrit. J’étais un drôle d’enfant, anxieux et insomniaque. Mes parents se sont vite rendu compte que le meilleur moyen pour m’empêcher d’errer à travers la maison tard dans la nuit était de m’offrir des livres. Puis je me suis penché sur la collection familiale, si bien que j’en suis arrivé à lire des ouvrages sur les théories du complot de mon père ou l’intégrale des Dickens dont ma mère avait hérité. Sauter de l’un à l’autre était très amusant et je suis véritablement tombé amoureux du sentiment de découverte. J’ai ensuite pris conscience qu’avec un crayon et du papier, je pouvais écrire mes propres histoires. J’ai alors passé d’innombrables nuits, étranges mais plaisantes, où, éclairé à la lampe de chevet, j’écrivais des pièces de théâtre et des sketches.
P. — Le roman décrit le côté sombre de Manchester avec un réalisme à couper le souffle. Est-ce un milieu que vous connaissez personnellement ou avez-vous enquêté ?
J. K. — J’ai personnellement acquis une expérience concrète de cet aspect de Manchester. C’est là-bas que j’ai eu pour la première fois le cœur – mais aussi le nez – brisé. J’y ai fait mes études, j’y ai grandi, mûri. J’étais, à l’époque et de manière générale, pauvre, affamé, saoul, drogué et, pour couronner le tout, je travaillais dans des bars. Il y avait un bar en particulier où j’ai travaillé et qui m’a beaucoup inspiré pour ce roman. Par ailleurs, le moment qui fut pour moi décisif dans la création de Sirènes est une fête clandestine à laquelle je suis allé, très semblable à celles que peut organiser Zain Carver dans le livre. Je lisais à l’époque Gatsby le Magnifique et j’ai pensé qu’en faire une sorte de remake noir pourrait être passionnant. Au lieu de ces somptueuses soirées jazzy à la Gatsby, nous aurions ces soirées illégales organisées par Carver. À la place de l’amour perdu de Gatsby, j’affublerais Carver d’une petite amie disparue. Enfin, à la place d’un voisin un peu naïf, séduit par ce monde, je créerais un détective qui, malgré lui, y serait attiré comme un aimant. Je suis rentré chez moi en pensant que je pouvais écrire ce roman en quelques mois, à condition de travailler vraiment dur. Finalement, ça m’a pris huit ans.
P. — La dimension sociale est très prégnante dans votre roman. Souhaitiez-vous dès le départ confronter des personnages issus de milieux différents ?
J. K. — Absolument, oui. C’est une des raisons pour lesquelles ce roman fonctionne particulièrement bien dans une ville telle que Manchester qui connaît des disparités sociales gigantesques entre les plus riches et les plus pauvres. Carver a créé un empire en vendant de la drogue et sait trouver les mots qui vont précisément toucher les jeunes. C’est d’ailleurs très intéressant de souligner que l’empire bâti par Rossiter, le politicien dont la fille a disparu, est du même acabit. Si ce n’est qu’il vend de l’alcool et que cette forme de drogue est légale. Mais globalement, mon objectif a toujours été de proposer des personnages qui ne sont ni bons ni mauvais. Je veux que les criminels que je dépeins possèdent aussi quelques qualités humaines et que mes victimes dissimulent parfois de lourds et sombres secrets qui peuvent changer le regard que les autres portent sur eux.
P. — L’inspecteur infiltré Aidan perd peu à peu conscience de sa mission, de la légalité et se perd lui-même. Comment avez-vous construit ce personnage aux multiples facettes, tout en mêlant quête personnelle et enquête ?
J. K. — Aidan est un personnage que j’ai construit et travaillé sur plusieurs années. Plusieurs de mes nouvelles avaient pour personnage principal un petit garçon séparé de sa mère abusive et pris en charge par l’assistance publique. Alors qu’il traverse cette épreuve, il est également séparé de sa jeune sœur. Bien que ça n’apparaisse que par touches dans l’intrigue de Sirènes, c’est un pan de l’histoire du personnage que j’avais déjà élaboré. Lorsque vous dites que ce personnage a tendance à perdre de vue sa mission, au point d’en oublier la loi, au point surtout de se perdre, de s’oublier, je pense que c’est très juste. Aidan a quelque chose du héros classique de littérature noire, abîmé par la vie, capable du pire mais qui, on l’espère, finira par s’en sortir. Le plus gros problème d’Aidan est qu’il est autodestructeur. C’est notamment ce qui participe à la tension de Sirènes car il n’est pas en mesure de reconnaître cet aspect de lui-même, de le contrôler ou d’en faire bon usage pour aider d’autres personnes. Dans le deuxième tome, The Smiling Man, Aidan est déjà un peu plus mature et déterminé à ne plus refaire les mêmes erreurs qu’il a pu faire dans Sirènes. Malheureusement, la noirceur du monde continue de l’attirer et de le tirer vers le bas.