PAGE - Comment vous êtes-vous rencontrées ? Quel duo de travail formez-vous ?
Anne Goscinny – On a vécu, Catel et moi, une espèce de coup de foudre amical. J’admirais son travail et je lui ai dit tout de suite que j’adorerais qu’elle consacre un roman graphique à mon père. Elle a décliné la proposition en m’expliquant qu’elle se réservait exclusivement à des portraits de femmes. Mais l’idée a fait son chemin et deux volumes d’un roman graphique verront le jour chez Grasset. Nous sommes devenues très amies et Catel m’a suggéré de créer avec elle un personnage féminin, une adolescente. Il faut dire qu’à nous deux, nous avons quatre adolescents sous les yeux, ça nourrit ! Au début, j’étais réticente, ne voulant absolument pas mettre mes pas dans ceux de mon père. Et puis le charme de Catel a opéré ! Lucrèce est née. C’est Catel qui a eu l’idée de la famille recomposée. C’est loin de mon schéma personnel, je n’y avais pas pensé. Mais c’est en réalité très malin ! Ça multiplie les personnages.
J’écris toujours seule. L’écriture, telle que je la vis, est l’acte le plus intime qui soit. Je lui envoie mes textes et si elle m’appelle en rigolant pour me dire qu’elle les a lus, c’est gagné ! C’est elle que je veux d’abord séduire.
Catel – J’ai découvert qu’Anne était très drôle contrairement à ce qu’elle laisse paraître en écrivant pour les adultes. Je lui ai suggéré d’écrire « drôle » ! Au départ, il s’agissait pour nous d’écrire un livre ensemble pour s’amuser. On se voit beaucoup, on se parle beaucoup : nous sommes liées par une amitié très fusionnelle.
P. - Catel, la première fois que vous avez imaginé Lucrèce et son monde, comment Anne a-t-elle réagi ?
C. – En fait, nous avons créé ensemble le monde de Lucrèce en associant nos deux mondes. J’ai dessiné devant elle et nous avons cherché ensemble. Les histoires d’Anne et mes dessins sont l’occasion d’échanges permanents. Lucrèce est venue très vite : c’est la fille d’Anne qui m’a inspirée. Nos filles sont dans le monde de Lucrèce, nos maris aussi, de manière déguisée. L’histoire de la tortue est vraie. L’idée est d’évoquer les problèmes de notre époque avec pertinence et impertinence, tout en gardant une certaine tendresse.
P. - Anne, chaque chapitre constituant en soi une nouvelle à chute, comment trouvez-vous toutes ces idées géniales ? Lucrèce est-elle la sœur du Petit Nicolas ?
A. G. – Avant tout, il faut dire que j’ai pris conscience en commençant à écrire ces histoires de la complexité de ce type d’écriture pour un jeune public. Il faut être percutant tout le temps, ne jamais lâcher la main de son lecteur. Une gageure. Les idées, je les trouve autour de moi, j’observe. Mes enfants ont 15 et 17 ans, leur préadolescence n’est pas loin. Et puis, je me nourris de mes propres années de collège. Mais surtout, le plus important est qu’en dehors de la forme, je n’écris pas pour les enfants. J’écris pour faire rire ou sourire les adultes. C’est en cela qu’on peut reconnaître à Lucrèce un lien de parenté avec le Petit Nicolas. Il y a dans mes histoires beaucoup de bienveillance c’est vrai, mais aussi une certaine lucidité. Je n’aime pas les univers lisses, je les trouve paradoxalement anxiogènes. Et puis, j’adore cette période courte et merveilleuse au cours de laquelle les jeunes filles flirtent avec le monde adulte en se réfugiant au moindre coup de vent, en enfance. Notre Lucrèce a exactement cet âge-là.