Littérature française

Amélie Nothomb

Entretien avec Amélie Nothomb

photo libraire

L'entretien par Véronique Marchand

Librairie Le Failler (Rennes)

Le 3 juin dernier, à la BnF, lors de notre grande réunion de rentrée littéraire, Amélie Nothomb nous a fait l’honneur de sa présence. Véronique Marchand (Lib. Coiffard, Nantes) qui avait suggéré qu’Amélie Nothomb soit l’invitée mystère de cette journée, a reçu l’auteure sur la scène du grand auditorium, devant près de 400 libraires et bibliothécaires, et lui a posé quelques questions sur son succès et son prochain roman, La Nostalgie heureuse, à paraître chez Albin Michel à la rentrée. Voici un extrait de cette belle rencontre.

PAGE - Vous souvenez-vous de l’accueil qui fut réservé par les libraires et les bibliothécaires à votre premier roman, Hygiène de l’assassin, lorsqu’il parut en 1992 ?

Amélie Nothomb - Si je m’en souviens ! J’aperçois en revanche beaucoup de jeunes gens parmi l’assistance qui ne peuvent s’en souvenir… J’ai bénéficié d’un accueil exceptionnel de la part des libraires. Ça n’allait pourtant pas de soi. Mais ce qui allait encore moins de soi, c’est qu’un tel accueil soit réservé à une Belge ! Merci à ceux qui m’ont défendue à l’époque. Merci d’avoir continué, année après année, à me soutenir, à poursuivre cette belle histoire. Vivre une année comme celle que j’ai vécue après la parution de Hygiène de l’assassin, c’est déjà fabuleux, mais le fait que cette expérience se renouvelle année après année depuis vingt ans, voilà qui est proprement extraordinaire ! Et je sais que je dois une grande part de ce bonheur à votre attachement. Merci.

PAGE - Je n’ai pas encore eu l’occasion de lire votre prochain roman, La Nostalgie heureuse. Accepteriez-vous de déflorer, rien que pour nous, quelques pans de son contenu ?

A.N. - En général, la première question que se posent les gens en ouvrant mes livres consiste à s’interroger sur la nature autobiographique de l’intrigue. Cette fois, il s’agit incontestablement d’un texte autobiographique. Certains d’entre vous ont peut-être vu Empreintes, l’excellent documentaire diffusé l’an dernier et qui m’était consacré. Empreintes traite de mon retour au Japon deux décennies après mon départ. Toutefois, ceux qui ont vu Empreintes ne doivent pas s’abstenir de lire La Nostalgie heureuse, qui aborde le problème sous un tout autre angle. Aucune concurrence entre ces deux objets. Le roman raconte ce retour vécu de l’intérieur, le film en restituait la réalité visible, en quelque sorte. Je décris d’abord les circonstances m’ayant conduite à accepter la proposition des auteurs du documentaire de retourner au Japon sur les traces de mon passé. J’étais persuadée que ce projet n’aboutirait jamais, qu’il ne trouverait pas les financements nécessaires. Alors j’ai accepté, à peu près certaine que cela ne m’engageait pas à grand-chose. Erreur fatale ! Si j’avais su, j’y aurais réfléchi à deux fois, et même à trois. Quand j’ai appris qu’il allait effectivement falloir que je retourne dans ce pays quitté vingt ans auparavant dans des circonstances assez peu honorables pour moi, je me suis trouvée bien embêtée ! On me demandait de retrouver ma gouvernante, de reprendre contact avec mon fiancé… Catastrophe ! Le tournage a commencé en avril 2012. Il a été rythmé par une succession de miracles – n’ayons pas peur des mots. Malgré le drame de Fukushima, malgré mon vieillissement et ceux de mes anciens amis nippons, malgré ceci et le reste… le tournage se déroule dans des conditions idéales ! Première surprise, je retrouve ma gouvernante. C’est inespéré ! C’est merveilleux ! La vieille dame est encore vivante. Nos retrouvailles donnent lieu à l’une des scènes les plus lacrymogènes de l’histoire de la télévision – et puis il y a des séquences off que je dévoile dans le livre (lisez-le !) Et mon fiancé… Là, il s’agissait d’une autre paire de manche ! Comment allait-il accueillir celle qui l’avait fui de la manière la plus odieuse ? Nouveau miracle ! Les Japonais sont si polis qu’il ne semble pas m’en vouloir le moins du monde. Il considère mon départ comme un événement charmant, oui – sans doute a-t-il regardé mon étrange dérobade comme une coutume typiquement belge… Qui sait ? Cette succession de petits prodiges a déterminé le titre du livre, La Nostalgie heureuse. Jusqu’à présent, je pensais que la principale qualité des Japonais, c’était la nostalgie. J’avais raison. Seulement, j’utilisais le terme dans un sens qui n’était pas le bon, lui attribuant – conformément à son acception ici – la portée malheureuse et triste des gens qui sont perpétuellement tournés vers un passé idéalisé – ou pas, d’ailleurs, mais en tout cas insatiable source de regret. Au Japon, le terme désigne au contraire quelque chose d’heureux. La nostalgie exquise, ou heureuse, correspond au moment où vous revient un bon souvenir, évoque l’émotion que vous ressentez à la réminiscence de ces instants passés. Le livre s’attache à explorer, à retranscrire cette notion typiquement nippone.

 

La chronique du livre

Comment renouer avec la réalité d’un lieu, avec des personnes que l’on a connues des années auparavant et que l’on a fait vivre jusqu’alors simplement par le biais des souvenirs ? Peut-être en écrivant le roman de ces retrouvailles…

Sollicitée par une équipe de télévision de France 5, Amélie Nothomb est amenée à retourner au Japon qu’elle a quitté pour la dernière fois en décembre 1996. Son histoire d’amour avec ce pays est longue et douloureuse. Berceau de sa petite enfance, cette terre dont on l’a arrachée à l’âge de 5 ans, l’a marquée à tout jamais. Seize ans plus tard, elle y retourne, y vit une expérience professionnelle désastreuse qu’elle raconte avec brio dans Stupeur et tremblements (Le Livre de Poche) et une histoire, plus fraternelle qu’amoureuse, avec Rinri, un garçon charmant qu’elle évoque dans Ni d’Ève ni d’Adam (Le Livre de Poche). Pour les besoins du documentaire, elle doit reprendre contact par téléphone avec ceux qui ont marqué ce passé japonais. Ce sera Rinri, enchanté à l’idée de retrouver celle qui fut sa quasi-fiancée, et Nishio-san, la gouvernante qui accompagna ses premières années. Nishio-san est âgée et ne parle que le japonais, l’occasion pour Amélie Nothomb de renouer avec cette langue qu’elle maîtrise mal et qui sonne cependant presque comme une langue maternelle. La vieille dame ne comprend pas tout mais accepte toutefois d’être filmée avec Amélie par l’équipe de télévision. Arrive le jour du départ, le moment où il faut franchir le pas, aller au-devant de ses souvenirs. À partir de cet instant, tout ne sera plus qu’émotion. Émotion à la vue des îles japonaises par le hublot de l’avion. Émotion encore aux premiers pas dans Kobe ou dans Shukugawa, le village de son enfance. Tout a changé, mais tout évoque le passé, les sons, le souffle de l’air, la gestuelle des autochtones… Puis vient le temps des retrouvailles, à la fois redoutées et attendues, avec ces êtres chers que sont Rinri et Nishio-san. En se confrontant à son passé, Amélie Nothomb signe avec La Nostalgie heureuse l’un de ses textes les plus intimistes.

Par Claudine Courtais Librairie Coiffard (Nantes)