Comment est né Vers les lueurs ? Quelle est son histoire ?
Juliette Adam Cela faisait longtemps que j’avais cette image en tête : un jardin immense, une maison comme un manoir. Une bulle pour réapprendre à vivre, en petit comité, entre jeunes âmes fracassées, sous le regard bienveillant d’une psychologue pas comme les autres. Vers les lueurs, ce sont cinq jeunes (Léo, Alice, Stephan, Camille et Sarah) que la vie n’a pas épargnés. Ne parvenant plus à vivre, empêtrés dans leur passé, leurs regrets et leurs traumatismes, ils se réfugient chez Aïcha, le temps d’un été, pour se reconstruire, se retrouver, se (re)chercher. Ensemble, ils vont s’apprivoiser, se disputer, s’aimer. Et créer des liens plus forts que tout ce qu’ils pouvaient imaginer. Pour ne plus jamais partir à la dérive. Car, comme le dit Dominique A, à qui j’ai emprunté le titre de ce livre, « nous n’irons bien, nous n’irons loin qu’avec les autres ».
Vous avez choisi la forme du roman choral. Pourquoi ? Que permet cette structure narrative ?
J. A. La littérature est le lieu de la rencontre avec l’altérité. Et quoi de mieux qu’un roman choral pour l’explorer ? Mes six héros ont des caractères extrêmement différents, ne voient pas le monde de la même manière, sont issus de milieux sociaux divers. La multiplicité des points de vue me permettait aussi de jouer avec plusieurs décalages. Ce qu’on pense de soi-même et ce que les autres pensent de nous, par exemple. Vers les lueurs est un roman du lien mais aussi de l’introspection, de l’exploration des sentiments. D’un point de vue plus formel, ce qui m’a intéressée, c’est de donner une véritable voix à chaque personnage. Léo est un introverti qui s’accroche aux petits détails de la vie. Stephan est plus proche d’une certaine forme d’oralité. Alice, la grande sœur du groupe, nous offre ses chansons. Camille est une petite fille de 7 ans (avec toutes les contraintes que cela implique). Sarah, qui est le personnage le plus fracturé, s’exprime en vers libres. Et nous avons accès à Aïcha à travers ses carnets de notes.
Je voudrais que vous nous parliez du personnage d’Aïcha que j’aime particulièrement. Elle n’est pas une thérapeute conventionnelle, elle accueille chez elle vos cinq héros et leur laisse une grande liberté. Vous êtes-vous inspirée d’une personne réelle – connaissez-vous une Aïcha ?
J. A. Non mais j’aurais bien aimé ! Je crois que parfois on écrit sur ces personnes qu’on aimerait avoir près de soi. Et qu’on aimerait offrir aux lecteurs. Dans mes écrits, je me plais à glisser un personnage fiable, un « sage » sur qui on pourra toujours compter. Sûrement car c’est ce à quoi j’aspire, ce en quoi j’aimerais petit à petit me transformer. Cette thérapie du vivre ensemble n’est pas conventionnelle, d’abord parce qu’elle repose sur un nombre restreint de participants. Ensuite, parce qu’Aïcha fait le pari que ses « invités » (Aïcha ne dirait pas « patients ») se guériront en se côtoyant, en réapprenant ce que c’est, petit à petit, de vivre une vie « normale » ensemble. Bien sûr, ils bénéficient également d’un suivi psychologique et nous avons quelques fragments de ces rendez-vous, sans compter les notes d’Aïcha. Mais en vérité, ce que cette psychologue leur offre, c’est un autre bien précieux. La confiance. La liberté. Et peut-être le droit de se tromper.
Vous parlez de l’enfance, de l’adolescence en souffrance. Vos personnages ont des profils très différents et vous les incarnez tour à tour avec une grande justesse. Comment vous êtes-vous appropriée leurs problématiques ?
J. A. En tant qu’autrice, je suis amenée à me projeter dans des vies qui ne sont pas les miennes. Évidemment, je n’ai pas connu les tragédies de mes personnages. Mais je peux me servir de mes propres émotions et de mes propres failles, passées comme présentes, pour écrire. Les membres de ma petite bande sont marqués par un passé très particulier mais ils souffrent également de problématiques plus répandues, surtout à l’adolescence : l’anxiété sociale, la détestation de soi, le rapport au corps, la gestion de la colère… Mais j’aborde également des problématiques plus sociétales, comme le racisme, les violences intrafamiliales, l’intolérance… Si je devais trouver un mot pour réunir ces personnages, ce serait « résilience ». Une envie de se battre, pour soi et pour les autres.
Après deux romans en littérature et deux albums pour la jeunesse, vous vous adressez pour la première fois aux adolescents avec Vers les lueurs. Est-ce un public que vous vouliez approcher et auriez-vous envie de recommencer ?
J. A. Je souhaitais me rapprocher de ce public parce que j’ai eu envie d’écrire des livres en lisant de la littérature ado. Quelqu’un qu’on aime de Séverine Vidal, la collection « La belle colère » et tant d’autres m’ont transmis ce souffle de l’écriture. La littérature adolescente est belle, foisonnante et m’a aidée à me construire. À 21 ans, je me sens dans un entre-deux, pas encore tout à fait adulte, plus adolescente mais encore proche de cette période. Young adult, donc. Écrire pour cette tranche d’âge, c’est renouer avec une forme d’intensité mais aussi de fragilité. J’ai effectivement quelques idées pour des prochains romans. Mais il va falloir être un peu patient, je dois d’abord terminer mon troisième roman de littérature générale qui commence à pointer le bout de son nez !
Léo, Alice, Sarah, Stéphan et Camille sont en souffrance et sur la défensive quand ils arrivent chez la psychologue qui les accueille. Pourtant, le courant passe vite entre ces êtres malmenés par la vie. Chacun ose s'exprimer à sa manière, à son rythme et une belle dynamique les relie bientôt. Une alchimie dont ils auront bien besoin quand il s'agira de regarder en face les événements qui les ont conduits là. Vers les lueurs est un superbe roman choral dans lequel Juliette Adam n'est jamais dans le pathos. Elle incarne de façon juste et sincère ses jeunes personnages aux prises avec des familles violentes ou défaillantes ; des êtres meurtris qui vont pourtant trouver le chemin de la résilience.