Jeunesse

Benoît Séverac

Ensemble, c'est tout

L'entretien par Frédérique Franco

Librairie Le Goût des mots (Mortagne-au-Perche)

Un roman initiatique passionnant, une immersion dans l'Amérique et la vie des Amérindiens d'aujourd'hui, une héroïne attachante et courageuse, des personnages secondaires inoubliables, un roman au rythme palpitant, du suspense et des émotions jusqu'à la dernière ligne… Bienvenue chez les sœurs Lakotas !

Avec votre nouveau roman, nous plongeons au cœur des États-Unis, chez les Lakotas. C'est une véritable immersion au sein d'une culture amérindienne à la fois ancestrale et malmenée. Comment est né chez vous cet intérêt pour les Lakotas ?

Benoît Severac - J’ai fait plusieurs voyages aux États-Unis. Mon ami écrivain Hervé Jubert et moi avons notamment été reçus pendant trois semaines par les Osages en tant qu’amis de la nation, dans le cadre d’un projet d’écriture d’un roman à quatre mains. Les Osages sont une des branches de ce que nous appelons à tort les Sioux. Les Oglala Lakota en sont une autre. Déjà, en 2016, j’avais découvert la réserve de Pine Ridge dans le Dakota du Sud. C’est un haut lieu de la résistance des peuples autochtones à l’armée américaine. On ne peut pas rester indifférent au sort réservé par les colons aux Oglala Lakota, un peuple souverain et libre qui a longtemps régné sur les grandes plaines du Midwest. Je n’idéalise pas et je n’entretiens aucun fantasme sur les Indiens mais j’ai tendance à m’intéresser aux perdants de l’Histoire plutôt qu’aux gagnants.

 

Le personnage principal, Bearfoot, est une adolescente particulièrement courageuse. Elle vit dans l'Amérique d'aujourd'hui. Que garde-t-elle de ses racines Lakotas ?

B. S. - Elle incarne toutes les contradictions des peuples autochtones confrontés à une civilisation occidentale dominante. C’est vrai pour des tas de peuples, pas seulement ceux d’Amérique du Nord. D’ailleurs, plus près de nous, on pourrait poser le problème dans les mêmes termes en ce qui concerne les Bretons, les Basques, les Occitans, les Alsaciens… Il est toujours intéressant mais compliqué d’entretenir ses racines, de ne pas les renier, de parler sa langue, sans pour autant rejeter la culture dominante et refuser l’évidence qu’elle constitue le socle commun du pays dans lequel on vit. À mon sens, racines et modernité ne sont pas contradictoires. Le problème, c’est que les cultures dominantes craignent que l’expression des particularismes au sein d’une population unie amène la sécession. Elles confondent unité (que l’on doit légitimement défendre) et uniformité (qui fait fi des richesses que les minorités peuvent apporter à un pays).

 

Bearfoot dit, à la fin du roman, que si elle n'a pas honte des siens, elle ne veut pas pour autant se battre en leur nom. Elle souhaite juste « mener [sa] vie, pas celle des autres ». C'est une réflexion profonde sur la complexité de vivre une identité multiple. Est-ce bien sous cet angle que vous avez souhaité aborder le sujet ?

B. S. - Absolument. C’est une question qui traverse les champs politique, sociologique et psychanalytique de nos sociétés occidentales depuis presque deux siècles : quelle est l’expression de l’individualité et celle de la collectivité dans nos choix de vie ? Dans notre engagement au sein de notre communauté ? Dans l’équilibre entre libre-arbitre et déterminisme social ? Etc. Comment ces deux pôles dialoguent-ils ? D’un côté, on ne souhaite pas que l’individu soit aliéné au groupe, de l’autre, on sait qu’il n’est rien sans le groupe. Nous nous débattons tous avec cette question, sauf dans les sociétés totalitaires qui nient et tentent d’annihiler toute volonté individuelle. Mais peut-on être heureux dans un tel système ? Mais sommes-nous si heureux dans notre système individualiste ? Pas facile de répondre à ces questions.

 

Nous suivons Bearfoot et ses sœurs à travers ce road trip qu'on ne lâche pas. Le suspense et les émotions sont au rendez-vous, l'intrigue est rythmée, parfois très visuelle. Vous êtes-vous inspiré de certaines ambiances cinématographiques ?

B. S. - Le roman répond aux règles du genre : un point de bascule qui, dès le début, va pousser le personnage principal à partir ; un objectif qu’il ou elle va chercher à atteindre ; des aventures à caractère initiatique tout au long du roman générées par des adjuvants (des personnages secondaires qui vont aider le héros) ; des opposants ou antagonistes (qui vont lui mettre des bâtons dans les roues). Au final, même si le but n’est pas nécessairement atteint, le personnage principal a « cheminé », il ou elle a progressé dans sa représentation du monde et de lui-même ou d’elle-même.

 

À propos du livre
Bearfoot, Santee et Ray sont trois sœurs. Elles vivent dans une réserve Lakota. Alors que leur mère vient d'être mise en prison pour conduite en état d'ivresse, elles sont sur le point d'être séparées et confiées à des familles d'accueil. Afin de rester ensemble, Bearfoot, l’aînée, décide de prendre les choses en main : prendre la fuite dans une vieille voiture, sans autre projet que de rejoindre la Californie. Un projet fou qui va marquer le début d'un road trip au rythme effréné où s'enchaînent les heureuses et mauvaises rencontres, les rebondissements et les espoirs. Ce roman impossible à lâcher est à la fois un récit initiatique et une belle aventure.