Dans vos romans, les personnages se découvrent au fil des chapitres avant de se fréquenter à un rythme qui va crescendo. Pourquoi cette construction récurrente et qu'apporte-t-elle à la narration ?
Chris Brookmyre - Le lecteur peut voir les protagonistes comme le personnage principal les voit. Il ne sait lui non plus ce que les autres pensent à ce moment-là. Quant à la structure, je pense qu’elle vient du cinéma car je crois que c’est le medium le plus influent en ce qui concerne les structures narratives du dernier siècle. Dans la première moitié d’une histoire, on pose des questions et puis arrive le moment où on doit commencer à y répondre, ce qui donne de l’élan à la narration et crée ce sentiment haletant et excitant quand on s’approche de la fin.
Dans Coupez !, il est question d'un meurtre et du milieu du cinéma d'horreur des années 1990. Pourquoi avez-vous souhaité rapprocher roman noir et films d'horreur ?
C. B. - J’ai grandi en regardant des films d’horreur des années 1980. Ma génération a été la première à avoir des magnétoscopes à la maison, les gamins de mon âge étaient ravis de pouvoir découvrir ce genre chez eux. Nous ressentions le frisson de l’interdit, même avant que le gouvernement commence à les censurer et les interdire. Je voulais montrer la sous-culture liée à ce type de films. Alors même si ce livre n’est pas une histoire d’horreur, c’est un roman sur l’amour du genre de l’horreur.
Vos personnages ont des personnalités bien définies, loin d'un simple archétype. Comment leur psyché vous apparaît-elle ?
C. B. - Quand je finis un roman, je ne me souviens plus très bien quelle était mon idée de base pour chaque personnage, tellement ils sont nourris par l’histoire. En ce qui concerne Coupez !, je voulais écrire du point de vue d’une femme de 70 ans qui serait vue par la société comme quelqu’un qui a vécu ses meilleures années depuis longtemps et qui est trop vieille pour apporter quoi que ce soit aux autres. Millicent, qui a perdu ces plus belles années en prison, n’arrive plus à se réintégrer à la société et veut juste mourir. Je voulais montrer comment quelqu’un comme elle peut réapprendre à aimer la vie et à se rendre compte que les meilleurs moments sont peut-être dans son futur. En contrepoint, j’ai décidé que mon deuxième personnage serait un étudiant de 18 ans qui a toute sa vie devant lui mais qui se sent rejeté et pense ne pas mériter le bonheur.
Vos romans utilisent les codes du mouvement littéraire Tartan noir qui est particulier à l’Écosse et qui inclut notamment une perception sombre et désenchantée de la société. Acceptez-vous d'y être apparenté ?
C. B. - Le Tartan noir est un terme très vaste qui couvre un très grand nombre de genres de fiction. La partie « Tartan » me plaît, mais je ne suis pas très sûr de savoir si mes livres sont vraiment « noirs ». Je pense que mes romans ne sont pas particulièrement « sombres » si on les voit de l’extérieur, car ils sont souvent et malgré tout de nature optimiste, comme Coupez !, par exemple, qui l’est particulièrement. J’ai été très influencé par Iain Banks. Sa sensibilité et son humour noir n’étaient pas seulement des choses que j’appréciais énormément, mais elles m’ont aussi aidé à comprendre que ce type de voix écossaise pouvait être acceptée par la littérature mainstream.
Par l'écriture, quel constat dressez-vous de notre société ?
C. B. -Je ne veux pas que le contexte ou le milieu où se passent mes romans soit juste un fond d’écran. Les personnages doivent questionner leurs sociétés : les valeurs, les non-dits, les incohérences. Et je pense que, s’il y a un thème récurrent que je dénonce dans nos sociétés, c’est bien l’abus du pouvoir. Coupez ! est un roman sur des gens au pouvoir qui vivent dans l’impunité après avoir commis des crimes. Mais, surtout, c’est l’histoire d’une femme qui est prête à se battre contre eux.
À propos du livre
Millicent est une ancienne maquilleuse de films d'horreur des années 1990. Elle a écopé de vingt-cinq années de prison pour le meurtre de son petit ami. Mais à sa sortie, elle clame toujours son innocence. Jerry, 18 ans, étudie le cinéma et intègre une collocation avec trois femmes âgées, dont Millicent. Lorsque celle-ci trouve par hasard une photo de l'époque de la mort de Markus, les questions la submergent, la replongeant sur le tournage d'un film qui n'a jamais vu le jour et qui bénéficie d'une aura macabre. Elle découvre très vite que cette histoire est loin d'être claire et enterrée et que ses recherches dérangent. Elle prend alors la fuite avec Jerry, formant un duo improbable et attachant, prêt à tout pour rétablir les faits.