Comment ce roman est-il né ? Dans quelles conditions l’avez-vous écrit ?
Rachel Corenblit - Le premier confinement, mai 2020 ! Alors que tout se fige autour de nous, me viennent des envies d’espace, de montagne, de liberté. Comment échapper à cette situation angoissante si ce n’est en la transcrivant ? La Maledetta est née de ce paradoxe : parler de peur en évoquant un cadre paradisiaque. M’extraire du quotidien dans une fiction radicalement différente de ma réalité.
Si on regarde votre riche bibliographie, La Maledetta se place un peu à part et marque votre première incursion en littérature fantastique. Comment expliquez-vous ce virage ? Pourquoi maintenant ?
R.C. - Je suis une grande lectrice de fantastique, j’adore les films d’horreur (la délicieuse peur d’y croire pour de faux) et j’ai toujours pensé qu’un jour, une histoire me viendrait. C’est avec délectation que je me suis plongée dans l’écriture de ce roman et j’ose espérer qu’un peu de ce plaisir s’est glissé entre mes lignes.
Parlons de votre héroïne, Éva. À 16 ans, elle est une adolescente presque comme les autres qui déborde de sentiments contradictoires, bouillonne d’une rage certaine et est régulièrement en colère contre ses proches. Mais à des tourments de son âge se greffe un mal plus profond. De fait, elle est très déstabilisante. Comment avez-vous travaillé cette figure centrale du roman ?
R.C. - C’est exactement de cela que je voulais parler : la colère. Le « non » qu’on ne réfléchit pas, qu’on ne rationalise pas, qui est instinctif et pas lié à une seule cause. Éva est donc au centre de ce roman qui, même s’il est fantastique, parle avant tout de ce basculement dans l’âge adulte et de l’angoisse qui accompagne la métamorphose. Le travail sur un personnage se fait naturellement, dès lors que celui-ci est cohérent, profond et complexe. Je pense qu’écrire, c’est écrire la complexité en la rendant simple et évidente. Ne pas trop en dire, donner une place au lecteur.
Vous avez su créer une véritable ambiance dans ce livre : le lieu de l’action qui semble être un petit paradis champêtre puis un enfer sur terre, des personnages qui ont l’air à la fois sympathiques et inquiétants, le tout tenu par un suspense digne du meilleur film d’horreur. De quoi vous êtes-vous inspirée ?
R.C. - La référence première, celle qui me vient à l’esprit immédiatement, c’est le film Amityville, la maison du diable. J’en garde un souvenir fabuleusement terrifiant. Puis les Stephen King que j’ai dévorés. Aussi, il faut bien l’avouer, toutes ces nuits que j’ai vécu à guetter le moindre bruit dans la maison isolée où nous passions nos vacances. J’en ai aperçu des monstres, des fantômes, des âmes perdues, des lumières étranges ! J’en ai entendu des sons bizarres ! Pas vous ? Enfin, je dois parler de la montagne. Quand le soir tombe et qu’on se trouve en altitude, entourés de ces masses qui s’assombrissent, cela relève un peu du mystique. Ce sont des moments que j’aime vivre.
Ce roman, s’il joue beaucoup sur nos nerfs, pose aussi de nombreuses questions, à travers celles d'Éva, sur le fait notamment de devenir une femme. Quitter l’enfance, accepter son désir, voir le modèle maternel se fissurer… Aviez-vous tout cela en tête ou cela est-il venu au fil de l’écriture ?
R.C. - Oui, quand je m’engage dans l’écriture, j’ai une pleine conscience de mes personnages. L’histoire d’Éva, c’est aussi un parcours initiatique. Celui qui nous fait passer à une autre étape de notre vie. La relation d’Éva et de sa mère est au cœur de mon propos : comment accepter les défauts de celle qu’on admirait ? Et la naissance du désir, de l’affirmation de son pouvoir de séduction, de sa féminité… Mais avoir une pleine conscience de mes personnages ne me met pas à l’abri des surprises et des découvertes. C’est le jeu de l’interprétation et c’est pour cela aussi que j’écris, pour que les regards que les lecteurs vont poser sur mon histoire me surprennent. Dès lors, « mon histoire » ne m’appartient plus.
À propos du livre
Quelle idée de partir dans ce trou paumé ? Éva se retrouve donc coincée entre son « idiot » de frère flanqué de son meilleur ami et de sa mère à la bonne humeur surjouée. Pour couronner le tout, il n’y a pas de réseau. Le rêve ! Et puis, cette grande tante qui vient de leur léguer « La Maledetta », cette vieille bâtisse... personne n’en avait vraiment entendu parler jusque-là, si ? Étrange. « La maison des mortes » – voilà comment les gens du coin surnomment l’endroit où la famille va séjourner ! – semble en effet cacher de terribles secrets et exerce sur la jeune fille une influence négative presque maléfique. Éva sera-t-elle assez forte pour affronter le terrible destin auquel elle semble vouée ?