Les écrivains voyageurs
Bessora en Afrique du Sud...
Soixante-dix ans nous séparent de cette photo où Karl, Birgit et Peter, frères et sœurs, descendent du bateau qui les a transportés d’Europe en Afrique du sud. Karl n’imagine pas qu’il sera assassiné en Namibie, en 1974. Birgit ne se doute pas que son époux, un fermier blanc, sera tué en Afrique du Sud en 2016. Et Peter ne sait pas très bien ce que signifie être orphelin de parents nazis.
Histoire vraie, peu connue. Ces orphelins venus d’Allemagne auraient dû être 10 000 à débarquer au Cap en 1948. Faute d’enfants aryens disponibles, ils ont été quatre-vingt-trois.
« Aujourd’hui, la culpabilité est double : avoir été un emblème du nazisme mais aussi de l’apartheid. Et quand vous êtes le bourreau, vous n’avez pas droit à la parole. »
Lauréate d’une mission Stendhal, je me suis envolée pour Le Cap à l’été 2018. On y fêtait le centenaire de Nelson Mandela mais aussi, dans les représentations françaises, la victoire de la France Black-Blanc-Beur à la coupe du monde de football.
Je voulais retrouver ces enfants devenus des adultes ainsi qu'un livre publié en Afrique du Sud en 1988 par l’un deux, Werner van der Merwe, âgé alors de 42 ans. Werner est décédé. Mais Peter, que j’ai découvert dans un documentaire allemand de Régine Dura, habite dans la province du Cap, près d’une voie ferrée, dans un paysage de montagnes adossées à une baie. Il est introuvable sur Internet, inexistant sur les réseaux sociaux. Après avoir visionné, lu et relu mes documents, je repère des noms de villes, des panneaux routiers, j’identifie une plage, je déchiffre des noms de résidence. Je lance une recherche sur Google Maps, j’utilise des mots clés et je trouve un état de propriété : si j’ai vu juste, Peter doit habiter dans ce complexe de soixante-deux logements.
En route ! Peter n’est pas averti de ma visite : j’ai son adresse mais pas son téléphone. Arrivée devant une barrière électrique qui annonce Armed Response, j’attends. Et je me faufile derrière une voiture.
Je sonne à une première porte. Un homme m’ouvre, me confirme connaître Peter, me conduit à sa maison. Je sonne. Un vieux monsieur de 78 ans paraît. Émue, je lui dis que je suis venue de France pour le rencontrer. Que je suis écrivain.
Peter me parle. Dans les yeux de ce vieillard, je vois l’enfant de 8 ans qui, sur le cliché, débarque, inquiet, dans ce pays inconnu. Sa peur. Il sera maltraité. Malgré lui, il deviendra le symbole de doctrines dont nous ne sommes pas débarrassés.
Je tisse ce roman à partir de la parole de Peter, des documents, images, ressentis. Incarner cette histoire vraie dans une fiction. Comment ? Hésitations de l’écrivain : un journal intime écrit par une héroïne, Barbara ? Un récit chronologique raconté par son jumeau, Wolf ?
Finalement, c’est l’enfance qui rejaillit. Il y a Barbara et sa volonté d’intégration alors qu’elle est homosexuelle et que la loi l’interdit. Et il y a Wolf qui, toute sa vie, n’a de cesse de retrouver le récit de ses origines, avec la peur de ce qu’il va découvrir.