Littérature française

Il est mort, le poète…

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✒ Marie Michaud

(Librairie Gibert Joseph Poitiers)

Federico García Lorca est mort à 38 ans sous les balles de miliciens franquistes quelque part en Andalousie. Robert Walser a succombé à l’âge de 78 ans, égaré dans la neige près de la clinique psychiatrique où il était interné depuis plus de vingt ans. Deux destins brisés que Serge Mestre et Arnaud Rykner ont choisi d’explorer par le biais de la fiction.

Ainadamar. La fontaine aux larmes. C’est là, au bord d’une route, dans un champ, qu’ont été abattus le poète Federico García Lorca et trois autres hommes qui avaient le tort de croire à la République et à la liberté de conscience. Ce n’est donc pas seulement le destin du poète que Serge Mestre a choisi de mettre en lumière – même s’il demeure la figure centrale du roman –, mais les trajectoires de ces hommes de conviction et de combat qui étaient prêts à en payer le prix. Dioscoro Galindo était instituteur, militant et artisan de l’émancipation de tous, grâce à l’accès à la connaissance. Francisco Galadí et Joaquín Arcollas étaient des banderilleros, héros des arènes et syndicalistes anarchistes. Ils furent réunis par le hasard pour leur dernier voyage. Avec eux, le célèbre poète et dramaturge, dont Serge Mestre retrace les sept dernières années, de sa rupture douloureuse avec Dali et Buñuel, à son retour en Espagne pour la grande aventure républicaine, en passant par son voyage aux États-Unis et son triomphe à Cuba. Grâce au foisonnement de détails et à un style riche et brillant, il fait revivre le poète dans sa complexité, entre dépression, exaltations, amours complexes, amitiés inaliénables et aléas de la création, animé par l’engagement politique qui le conduira jusqu’à ce matin d’août 1936 où il fait résonner quelques vers du « Dormeur du val ».

Pour sa part, si Arnaud Rykner s’est inspiré de la vie de Robert Walser, il a choisi d’en restituer uniquement une ombre portée sur la page blanche du roman. En effet, c’est le quotidien de Joseph (et non Robert) que le lecteur découvre : sa vie dans une clinique psychiatrique dans les années 1950. Joseph écosse des petits pois, fabrique des sacs en papier et, à force de bonne conduite, obtient la permission de sortir se promener seul hors de l’enceinte de l’établissement. Liberté retrouvée dont il ne sait pas vraiment que faire. En tout cas, pas écrire, plus jamais. Au-delà du destin tragique qui s’achèvera dans un tourbillon de neige et de pensées folles, l’égarement du personnage est mis en mots dans un style étonnant qui bouscule le lecteur tant il se veut le reflet d’une conscience en pleine évasion. Ainadamar de Serge Mestre et Dans la neige d’Arnaud Rykner évoquent la mort de deux grands écrivains du début du xxe siècle de manière on ne peut plus différente. Chacun avec sa voix, son style, ils font vibrer l’œuvre de leurs modèles aux trajectoires incandescentes et donnent au lecteur d’aujourd’hui l’envie de lire ces textes qui ont balisé le chemin de l’un vers la mort et de l’autre vers la folie.