Essais

Au banquet de la philo

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✒ Éric-Michel Tosolini

Voici une sélection diverse et variée pour ouvrir le festin philo de cette rentrée des essais : quatre livres très différents qui sauront tous, chacun à leur manière, piquer au vif la curiosité des lectrices et lecteurs et ouvrir dans leurs champs des horizons nouveaux.

La Promesse de Juliette de Mustapha Fahmi est une très belle façon d’ouvrir une nouvelle saison de lectures d’essais et de documents, pour toutes celles et ceux qui auraient fait valoir leur droit à la paresse cet été. Élégance, finesse, profondeur, pertinence et surtout légèreté dans le propos nous invitent à repenser notre rapport au monde, aux autres ou à soi. Tout est rassemblé dans ces pages à l’érudition vive et joyeuse. Shakespeare, Aristote et consorts vous guident, mais le pas est ailé. La Promesse de Juliette est tenue et le plaisir de lecture redoublé par la découverte d’un éditeur, La Peuplade, et d’un auteur Mustapha Fahmi.

Avec Éthique de la pratique ordinaire, Pierre-Olivier Monteil a osé relever le défi de penser notre obscure et obstiné refus de ne pas questionner nos pratiques ordinaires. Lourdes de violences latentes, nouées de trop de fils, elles s’imposent à nous, pèsent et à la fin nous empêchent d’agir efficacement et de façon juste. Pour sortir de la nasse, il faut alors trouver le courage de saisir au collet le trivial de nos gestes et paroles et le retourner. Mais rien n’est moins facile. Pour regarder cette Gorgone, l’auteur mobilise avec tact une belle érudition et fait montre d’une patiente pédagogie pour déployer un champ des pratiques ordinaires où il s’agit moins «°de se comporter que de se conduire°».

L’œuvre de Francis Wolff s’élabore avec méthode depuis plus de trente ans et Plaidoyer pour l’universel, qui vient de paraître en Pluriel, n'est pas le moindre jalon de ce patient et riche chemin. Il s’agit ici d’un livre d’entretiens avec André Comte-Sponville et le mot n’est pas un vain. Car l'un des premiers plaisirs de lecture est la vivacité du dialogue entre les deux penseurs, ce qui nous rappelle le geste fondateur de la philosophie. Le deuxième plaisir de lecture, mais pas le moindre et qui en laisse augurer beaucoup d'autres, c’est d’avoir en main un texte qui tisse habilement la pensée et l’Histoire, l’universel et le personnel, l’émotion, sans renoncer à la rigueur de la raison.

Les Formes du visible de Philippe Descola est un monument majestueux de plus de 700 pages et 150 illustrations. C’est surtout un texte d’une rare densité intellectuelle mais qui doit se dérouler délicatement. Car dans cette somme inépuisable, la patience reste une vertu cardinale qui nous découvre soudain des horizons inouïs. Les Formes du visible devient alors un événement permanent qui donne à penser les images « d’avant l’époque de l’art » et le monde du « beau ». Des images nées des processus de « mondiation » analysés par l’auteur, qui rendent visibles autant que présent des « signes incarnés » produits non seulement pour le plaisir de l’intellect mais aussi pour engager les affects les plus profonds.