Littérature française

Jean Echenoz

Vie de Gérard Fulmard

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photo libraire

Chronique de Lyonel Sasso

Librairie Dialogues (Morlaix)

Vie de Gérard Fulmard est une vision, en décalé, de ce qui constitue notre époque. Passions tristes, secrets et autres événements absurdes forgent le récit de Jean Echenoz. L’écrivain s’embarque dans une jolie cavalcade où l’humour transpire entre chaque page.

Qu’il dresse le portrait, tout en élégance, d’un Ravel parfaitement ajusté aux allures haute couture ou qu’il retranscrive la silhouette maladroite et encombrante d’un Gérard Fulmard, Jean Echenoz s’adonne au plaisir d’écrire. À le lire, on repense aux considérations d’un Stendhal lorsque celui-ci, pris du bonheur d’écrire, ne pouvant supporter cette ivresse – déposait la plume. Heureux lecteur qui, aujourd’hui, peut s’apercevoir que Jean Echenoz traverse cette même ivresse mais qu’il ne renonce pas à lui porter une continuité. Ainsi en est-il de Vie de Gérard Fulmard. Ce personnage, figure accablée et drolatique d’un loser, est un steward qui ne peut plus monter en l’air. Littéralement. Autant le dire, sa vie n’est guère un plaisir. Sans activité – Echenoz se révélant virtuose pour décrire cet individu englué dans ces heures de vide –, Gérard Fulmard gigote dans un minuscule appartement. Un jour, le supermarché du coin explose. Attentat ou débris hasardeux d’un satellite ? La trame absurde permet à l’écrivain de se draper en parfait portraitiste d’une époque. Cadence infernale et pathétique des chaînes info, figures stéréotypées des politiques ou autres agents médiatiques, Echenoz crayonne façon Saint-Simon cette sarabande de personnages. Avec minutie, il dépose quelques références cinématographiques. On pense à Baisers volés de Truffaut, avec son Antoine Doinel emprunté et maladroit dans son costume de détective privé. On rencontre une Louise Tourneur – un des personnages du livre – alanguie dans une piscine, et on se remémore La Féline de Jacques Tourneur. Comme chez Patrick Modiano, il y a aussi cette passion des patronymes, des lieux, des aléas sublimes des rues. Ce livre n’est pas qu’une simple cavalcade printanière, une facétie à amples tiroirs. Echenoz aborde les éléments indémodables d’une époque. Passion, pouvoir, spectaculaire du média, secret et autres inégalités de classes. On s’aperçoit du pouvoir inlassable de la réalité, réalité qui souvent, dépasse la fiction. Echenoz interroge, triture et s’amuse de ce savoureux paradoxe. Et c’est tout l’intérêt de ce livre que l’on pourrait, paresseusement, considérer comme une simple parodie de polar mais qui ne cesse, sous le chahut de son inventivité stylistique, d’offrir la possibilité de ses métamorphoses. Et puis, cet art assumé du cliché, ces retours astucieux à ses propres leitmotivs font de Jean Echenoz, un accompagnateur élégant. On se retrouve à arpenter, en compagnie de l’écrivain ou de son personnage, les rues de Paris, toujours avec ce plaisir vif et non mesurable. Les rendez-vous de Paris n’ont jamais été aussi bien agencés.

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