Bande dessinée

Tillie Walden

Sur la route de West

illustration

Chronique de Anne-Sophie Rouveloux

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Grâce à l’art de Tillie Walden, les routes du Texas se parent de rose et de violet tandis qu’ombres et pastilles de lumière glissent sur les visages de Béa et Lou. Le voyage en leur compagnie s’annonce étrange, intense et comme dans chaque roman graphique de l’auteure, joliment mélancolique. Quelle est la plus grande qualité de Tillie Walden ? Il y a le soin qu’elle apporte aux couleurs, ses visages qui évoquent des sentiments simples et forts, mais il y aussi ses personnages, si bien campés qu’ils nous touchent immédiatement. Avec elle, l’expression roman graphique prend tout son sens.

Deux femmes lancées sur une route du Texas. Béa, adolescente, fuit sa maison. Lou profite d’aller voir sa famille dans l’Ouest pour avancer la jeune femme dans son périple. Garagiste chevronnée, la légende veut qu’elle ait construit une voiture toute seule à l’âge de 15 ans. Les deux se sont déjà croisées, mais leur première vraie rencontre se fait la nuit, dans une station service déserte. Elles semblent si différentes et pourtant, le bout de chemin qu’elles vont passer ensemble apparaît comme une évidence. Déjà, à quelques cases d’écart, lorsqu’elles se pensent seules, le lecteur les observe se recroqueviller, cacher leur visage dans leurs mains. Elles portent en elles le même genre de souffrance, à des stades différents, car elle n’ont pas le même âge. Ce qui est sûr, c’est qu’elles peuvent échanger (même s’il est dur de dérider Lou) sur la queer attitude ou d’une manière plus générale, sur les difficultés de se faire accepter pour ce que l’on est. La plus âgée rassure et se nourrit de l’énergie de la jeunesse. L’affection entre elles prend de l’ampleur, au point de traverser la page pour toucher le lecteur. Autour d’elles également l’histoire se développe. Les confessions s’enchaînent et l’atmosphère se construit. Leur voiture traverse des tunnels éclairés par une lumière rose vif. Autour d’elles, la nuit est tout en violet et rouge orangé accentuant l’étrangeté de l’endroit, presque uniquement composé de collines perdues au milieu de nulle part. Il y a bien quelques tensions entre les deux nouvelles amies, mais si elles se séparent parfois, c’est pour mieux se retrouver. Il semblerait qu’elles ne se soient pas rencontrées par hasard. Sur leur route, soudain, apparaît… un chaton. Désormais, il est primordial de le ramener à ses maîtres. Sauf qu’elles finissent par ne plus savoir où elles se trouvent. Pire, bientôt, des créatures se mettent à les suivre car elles ont en leur possession un félin pas ordinaire. Après son space opera dans Un rayon de soleil, Tillie Walden invite le fantastique dans ses récits intimistes si sensibles et touchants. Tout ce que l’on aime chez elle est là : le récit qui gagne en intensité au fur et à mesure que ses personnages se dévoilent, cette justesse des sentiments qui va droit au cœur du lecteur, qu’il soit ado ou adulte. Mais cette fois-ci, elle évoque l’indicible, à travers l’épreuve qu’a subie Béa, qui donne un sens à son évasion. À travers ces thèmes récurrents et sa volonté de mettre en avant des femmes fortes, l’auteure (qui n’a même pas 30 ans !) semble vouloir nous adresser un message dont la teneur serait : « Vous n’êtes pas seules. C’est normal d’être mélancolique. Vous pourrez même y trouver une certaine beauté ».

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